Immersion dans le monde de l'hôpital psychiatrique et ses personnages, soignants et patients, grâce au regard de l'écrivaine Joy Sorman dans son livre "A la folie" (Flammarion). Elle nous raconte ces vies enfermées.
- Joy Sorman Ecrivaine
Après d'autres livres en immersion dans des milieux marginaux, à mi-chemin entre le reportage et le récit, comme Paris Gare du Nord (2011) ou L'inhabitable (2016) sur les immeubles insalubres à Paris, l'écrivaine Joy Sorman explore cette fois-ci le terrain de la folie. A la folie est le fruit d'une enquête d'un an dans deux unités psychiatriques tous les mercredis auprès des patients et soignants. Déjà en octobre dernier nous recevions le rappeur Gringe ainsi que l'écrivain en herbe Marius Jauffret pour évoquer ce thème de la psychiatrie, interroger la norme et le hors-norme dans notre société.
J'y suis entrée avec des images de films, de documentaires... L'idée était d'y aller en ignorante, en naïve, en candide, en étrangère. Je voulais être une présence, presque dérangeante, avec l'idée d'être un témoin de la vie de ce service. J'en suis ressortie avec beaucoup d'incertitudes, beaucoup de doutes : aucune vérité ne tient très longtemps quand on s'intéresse à la psychiatrie. (Joy Sorman)
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Pourquoi enfermer les "fous" ? Une question qui se pose, en creux, dans ce livre, dans les pas d'un Michel Foucault et de son Histoire de la folie. On comprend comment l'enfermement dépasse parfois le pur domaine médical pour déborder sur le judiciaire, dans un glissement du soin à la punition. Le livre interroge ainsi la folie en racontant le quotidien de personnages réels ou fictifs : Franck qui se prend pour un loup-garou, Fantômette qui décide de rester internée, Maria la sorcière ou encore Youssef qui pense être le soldat inconnu. Alors que le mal-être est partagé entre soignants en sous-effectif transformés en gestionnaires de l'hôpital, et patients souffrants, Joy Sorman croque la singularité de chaque personnage.
Ce lieu est d'abord un lieu hostile : il y a l'idée d'une étrangeté, d'une violence, d'ailleurs l'hôpital n'a pas vocation à être un lieu de vie, c'est tout l'ambiguïté. Il y a quelque chose de l'inhabitable, de la boîte noire et hermétique. L'idée était de pénétrer dans ce lieu presque interdit. (Joy Sorman)
C'est un vide, une expérience de l'ennui, et en même temps une expérience de l'accumulation de règles. (...) L'avenir n'est pas borné, c'est une expérience du temps très singulière. (Joy Sorman)
Puisque la psychiatrie est le lieu par excellence de la parole, espace où les mots peuvent blesser ou soigner, alors la folie semble être un sujet total pour l'écrivaine qu'est Joy Sorman. Un lieu aussi où le verbe renoue avec toute sa portée romanesque. Langue de la psychiatrie et langue de la folie se croisent dans l'espace du livre sans hiérarchie et sans qu'il n’y ait jamais aucune vérité affirmée par la narratrice.
Car le livre est avant tout un appel à la modestie intellectuel, à la patience face à cette altérité que nous appelons "folie". Ainsi Joy Sorman écrit-elle : "C'est une expérience qui, loin d'éclairer, de démêler, opacifie et maintient dans l'ignorance, l'ambivalence, une expérience sans révélation, sans dénouement, sans fin. Pourtant cette ignorance est une grâce, elle apaise et fortifie, libère et assagit, rend disponible, vacant, simple pisteur de chants et de traces en forêt, simple récepteur, tympans vibratiles et pupilles béantes pour, le temps d'une expérience, se débarrasser de l'écrasante charge de la vérité."
Cela a été une expérience dans la durée. Je suis passée par tous les états jusqu'à devenir une présence familière. Il fallait sans cesse ajuster ma présence. (Joy Sorman)
A chaque mot, à chaque geste, on se demande si on ne va pas attiser la souffrance. (Joy Sorman)
Extraits sonores :
- Emmanuel Carrère, La Grande Table, 2018
- Marius Jauffret, La Grande Table, 2020
- Suprême NTM, "Paris sous les bombes", live de 2019
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