Réviser ses classiques avec Dada Masilo

Dada Masilo lors de la Biennale de la danse de Lyon, le 26 septembre 2012.
Dada Masilo lors de la Biennale de la danse de Lyon, le 26 septembre 2012. ©AFP - Philippe Desmazes
Dada Masilo lors de la Biennale de la danse de Lyon, le 26 septembre 2012. ©AFP - Philippe Desmazes
Dada Masilo lors de la Biennale de la danse de Lyon, le 26 septembre 2012. ©AFP - Philippe Desmazes
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Nous recevons Dada Masilo, danseuse et chorégraphe sud-africaine. Connue pour ses relectures innovantes des grands ballets du répertoire classique, elle revient avec "Giselle ou les Wilis", dont elle interprète le rôle-titre, et propose une réécriture surprenante, africaine, féministe et vengeresse.

Avec
  • Dada Masilo Chorégraphe et danseuse sud-africaine

Dada Masilo, papesse du remix chorégraphique, révise encore et toujours nos classiques. 

Après Le Lac des Cygnes et Carmen, danseuse et chorégraphe sud-africaine relit aujourd’hui Giselle, l’un des plus grands ballets du répertoire classique, avec les danseurs de la Danse Factory de Johannesburg. A voir à la Grande Halle de La Villette, jusqu’au 21 décembre 2018, puis en tournée à partir de mars prochain. 

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En revenant sur l'histoire originelle des Wilis, qui étaient très fortes, très courageuses, je revenais vers cette idée de Wilis qui tuaient parce qu'elles voulaient être vengées. Ma Giselle parle de la trahison, pas de l’oubli, ou pas du repentir. Elle tue.

Dans ma Giselle, et particulièrement dans le premier acte, j'explore cette idée de la peine, de la souffrance. Ma Giselle va mourir parce que son cœur est brisé, parce qu’elle aimait vraiment Albrecht, et il l’a trahie. Très souvent, on cache nos émotions, et, surtout quand on est femme, on attend de nous que l’on pardonne, qu’on oublie, qu’on laisse aller. Mais je ne voulais pas faire une Giselle qui soit comme ça. Je voulais faire un travail chorégraphique qui ait quelque chose à voir avec le viscéral, avec le vulnérable. Je voulais que les spectateurs ressentent des émotions […], parce que je veux ressentir des choses et pouvoir les transmettre aux spectateurs quand je danse.

Danser est une force vitale. C'est ce que j'utilise pour m'exprimer, pour raconter des histoires. Une des choses les plus intéressantes avec Giselle, pour moi, ça a été de réussir à l’incarner. Parce qu’elle est très sauvage, très innocente, naïve, un peu négligente, et il y a toute cette différence entre le premier et le deuxième acte. Dans le deuxième acte, elle va devenir forte, prendre de la puissance, et devenir dangereuse.

J'ai choisi d'interpréter Giselle, parce que je voulais mettre au défi ma manière de raconter des histoires, et trouver un autre niveau d’expression dans mon corps, parce que très souvent je suis une danseuse un peu dure, et je voulais trouver en moi une espèce de douceur, de négligence, de laisser-aller, ce qui est difficile pour moi, parce que je suis plutôt quelqu’un de fort, et de déterminé. Ça a été un véritable défi d’ailleurs. C’est toujours quelque chose qui est en cours, c’est-à-dire arriver à trouver cette Giselle, à voir comment je vais être à la fois forte, à la fois douce. Je n’ai pas le sentiment d’avoir atteint vraiment mon but encore, c’est-à-dire arriver à trouver ce contraste entre la douceur et la force.

Giselle pour moi, c’est quelqu’un qui a à voir avec la question de la puissance qu’on donne aux femmes. La société est très brutale pour les femmes, parce qu’on attend toujours de nous qu’on pardonne. Ma vision […] a à voir avec regarder un travail qui a toujours été raconté de la même manière pendant tellement longtemps. […] Je ne crois pas qu'Albrecht doive être pardonné, et donc je ne lui pardonne pas.

Mon point de départ, quel que soit le travail, n'est pas politique. Ce qui m'intéresse, c'est le récit qui existe, et comment ce récit va devenir politique. Cela a à voir avec les questions auxquelles je m’intéresse, c’est-à-dire les stéréotypes de genre, la violence domestique, la trahison, et ces questions sont déjà politiques, avant que je ne les rende politiques. Je dirais que je ne fais pas un commentaire politique sur ce qui se passe en Afrique du Sud, mais sur ce qui se passe de manière globale. […] Le viol, par exemple, ce n’est pas seulement une question qui concerne l’Afrique du Sud, c’est une question mondiale. C’est la même chose pour le sida ou l’homophobie. […] Ces questions à mon avis concernent tout le monde.

J'ai décidé très tôt que ma Giselle devait se passer en Afrique du Sud, à la campagne, de manière à ce que Myrtha soit une Sangoma, c’est-à-dire une guérisseuse traditionnelle. Dans ma Giselle, [Myrtha] est un homme et il utilise son pouvoir pour faire le mal, c’est-à-dire qu’il rassemble toutes les Wilis pour qu’elles tuent. Je voulais également introduire les cultures et les traditions sud-africaines.

Quand on parle du rythme, j'essaie toujours de mêler la danse contemporaine avec quelque chose. Et parce que Giselle se passait à la campagne en Afrique du Sud, […] il était important pour moi d'introduire des éléments vocaux, de rythme et de percussions, parce que c'est vraiment quelque chose qui a à voir avec les racines de l'Afrique du Sud.

Ce que je voulais, d’une certaine manière, c'était enlever cet aspect contes de fées au ballet.

Ce qui est important pour moi, c'est de m’attaquer à des questions importantes et les mettre en avant, parce que j’ai le sentiment que, dans la société, c’est très facile de balayer des choses sous le tapis. Les gens se disent : "ça, ça ne me concerne pas, donc voilà, je ne le regarde pas". C’est très important de faire ressortir toutes ces questions, et d’essayer de nous éduquer nous-mêmes, de commencer un dialogue, et puis d'initier des changements. Il ne s'agit pas seulement de faire quelque chose de beau et de distrayant, c’est quelque chose qui a à voir avec apprendre à se soigner, et à parler, aussi.

Pour moi, il est très important que vous ayez votre histoire, le récit, et pas seulement que vous soyez esclave de la technique. Ce que je fais, c’est de la danse-théâtre, ce qui veut dire que j’utilise ma technique pour raconter une histoire, et que le travail n’a pas seulement à voir avec la technique, mais c’est surtout faire passer l’histoire. Je veux toujours que le public comprenne ce que je dis, et c’est pour ça que je fais un travail qui est narratif, parce que je veux me poser des défis dans cette transmission de l’histoire. Je veux que les gens puissent s’ouvrir et recevoir cette histoire, comme ils le veulent. Je veux qu’ils ressentent la joie, la douleur, la tristesse, qu’ils rient.

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