Le dessous politique des cartes

carte du monde centrée sur le Pôle Nord
carte du monde centrée sur le Pôle Nord ©Getty - CSA Images
carte du monde centrée sur le Pôle Nord ©Getty - CSA Images
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L'historienne Nepthys Zwer et le géographe Philippe Rekacewicz nous parlent de l'impensé politique des cartes dans leur ouvrage commun "Cartographie radicale", qui propose une nouvelle vision de la géographie : engagée, subjective, utopiste.

Avec
  • Philippe Rekacewicz géographe et cartographe, chercheur associé à l’université de Helsinki
  • Nephtys Zwer Historienne

En se bâtissant une réputation de science exacte, la géographie a longtemps présenté la carte comme une donnée neutre et impartiale, représentation objective d’un monde mis à plat. Nephtys Zwer, chercheuse en histoire, et Philippe Rekacewicz, cartographe, reviennent sur cette conception institutionnelle de la discipline et proposent une cartographie alternative, "radicale", opposée à la cartographie conventionnelle, puisqu’elle n’entend pas servir le pouvoir mais le subvertir. Politique, scientifique, artistique … cette approche rappelle que la relation est réciproque entre la carte et le territoire : si les cartes ont longtemps été dessinées d'après le monde, le monde pourrait lui aussi se dessiner d'après les cartes.

Cartographie radicale, explorations, La Découverte, 2021.

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Revenant sur la problématique réel/imaginaire qui traverse les cartes, les auteurs insistent sur les parti-pris de la géographie radicale : "La géographie conventionnelle revendique un statut de science exacte, s’appuyant sur des données réputées fiables, et croit produire des images neutres et fidèles de la réalités. La cartographie alternative se veut plus modeste, car elle questionne en permanence les données et les informations dont elle se nourrit et, surtout, assume – et revendique même – sa nature subjective : les images cartographiques ne sont que des visions, des interprétations du réel." (extrait de Cartographie radicale)

C'est ce qu'explique Philippe Rekacewicz, insistant sur ses deux fonctions représentative et herméneutique de la carte : "Dans la pratique cartographique qu'on développe dans ce livre, on voit la carte non seulement comme une tentative de représentation du monde, mais aussi comme un acte social et politique pour tenter de décrypter le monde et pour essayer de faire apparaitre comment les sociétés organisent, produisent leurs espaces et leurs territoires."

Cette subjectivité assumée rapproche la carte de l'art, et Philippe Rekacewicz est d'ailleurs l'un des premiers à signer ses cartes, soutenu en cela par Nephtys Zwer. L'historienne soutient en effet : "On oppose art et science à cause de l'histoire de cette cartographie qu'on a voulue exacte, objective. On a l'impression que la carte reproduit la réalité ; mais cette réalité, la carte la construit elle-même à partir du moment où elle la propose. On est très très loin de l'objectivité scientifique". Ce qui ne veut pas dire que la carte radicale ne dispose pas de solides bases de données, simplement qu'elle admet (voire revendique) un biais d'interprétation, inévitable par ailleurs. 

Philippe Rekacewicz lui ajoute que "la carte est ce dialogue entre l'imaginaire et le réel. Naturellement, elle doit être signée, puisqu'elle représente un point de vue de la même manière qu'un texte présente un point de vue".

Mais qui dit art dit aussi interprétation et réception, et pourquoi pas manipulation .... L'historienne et le géographe s'appliquent à déconstruire l'inconscient à l'oeuvre dans les cartes, et particulièrement celles qui représentent les divers flux migratoires : taille et couleur des flèches, tout peut être travaillé  pour donner une impression de menace ou d'invasion. 

Enfin, l'intérêt de cette nouvelle cartographie alternative est de redonner la carte aux habitants. La partie civile a en effet beaucoup à gagner à s'approprier cet outil de pouvoir, surtout les populations invisibilisées par les cartes officielles (favelas et bidonvilles)

"L'enjeu est double, rappelle Nephtys Zwer. C'est la conscientisation de sa propre situation et la visibilité vis à vis des autorités."

La Grande Table culture
28 min

Générique : 

  • Michel Houellebecq sur France Info en 2010
  • Delphine Papin sur France Culture en 2021

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