La crise, moteur du renouveau démocratique ?

Jean-Luc Nancy, philosophe et professeur émérite à l’ Université des Sciences humaines de Strasbourg, et Jean-François Bouthors, journaliste, éditeur et écrivain, animateur de groupes de lecture biblique, sont nos invités pour leur ouvrage commun : Démocratie ! Hic et nunc (François Bourin, 2019). Un livre né d’une rencontre entre ces deux voix qui, à partir de leurs différences de point de vue tout autant que de leurs points de convergence, ont mené à bien ce projet dans une vraie démarche délibérative et démocratique. Or c’est bien de démocratie qu’il s’agit ici : comme rapport au monde, comme démarche jamais acquise, toujours à refaire, née de l’effondrement de régimes stables. 

On n'a jamais réussi à implanter une religion civile, à l'instar de Robespierre : or s'il n'y a pas de religion civile, il faut trouver autre chose, car la communauté n'a rien pour s'identifier, elle ne peut jamais être assurée d'elle-même.
(Jean-Luc Nancy)

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Loin d’être un accomplissement destinal, écrivent-ils, la démocratie advient par le choix des hommes d’une communauté politique de se doter librement et dans un rapport d’égalité des lois par lesquelles ils vont se gouverner_._ La démocratie résulte d’un écart et du refus d’une autorité extérieure transcendante, qu’il s’agisse du destin ou des dieux. Ainsi les auteurs parlent-ils d’ "auto-transcendance", une transcendance laïque qui porte le sens du collectif en chacun de nous. En démocratie, il ne s’agit pas de valoriser l’individualisme mais "l’affirmation d’un "nous" dans lequel chaque "je" engage l’expression de son irréductible incommensurabilité". Plus que la simple addition des forces, il faudrait ainsi "la force intérieure plus grande que la juxtaposition ou la coïncidence des forces individuelles" (p57). 

Il y a un phénomène qui pèse plus lourd que tout ce qu'on peut dire sur la démocratie directe ou pas, représentative ou non, c'est la domination d'un système mondial qui écrase tout. Et ce qu'on voit dans le monde entier, ces soulèvements de gens en dehors de toute structure politique ou idéologique, c'est le signe que les gens se sentent pris à l'intérieur d'une énorme machine dont personne n'a le contrôle. 
(Jean-Luc Nancy)

Née autant de la tradition judéo-chrétienne de la délibération que de la tradition grecque, la démocratie est aujourd’hui en crise. Néanmoins, nous disent les auteurs, plutôt que de chercher des solutions dans la technique, chez les experts ou dans  un renversement du pouvoir, peut-être faut-il accepter que ses attentes soient aussi gravement déçues qu’elles le sont pour que la démocratie prenne un sens inédit et risqué, le mot "révolution" étant alors convoqué pour parler d’une refondation du pouvoir.

Ce que j'entends avec les Gilets jaunes, c'est une tentative de faire advenir ce qui a échoué de nombreuses fois dans l'Histoire, la démocratie directe [...]. Mais ce qui peut marcher au niveau local ne peut pas marcher à une échelle plus grande. Imaginer qu'on va être dans la délibération permanente, c'est courir à la catastrophe.
(Jean-François Bouthors)

Extraits sonores : 

• La Révolution française de Robert Enrico et Richard T. Heffron (1989)
• Cornelius Castoriadis (France Inter, novembre 1996)
• Deuxième Appel des Gilets Jaunes de Commercy (youtube, 29 déc. 2018)