Pourquoi appelons-nous à un retour de l’autorité de l’Etat ? La souveraineté étatique nous rend-t-elle plus libres ? On en parle avec Pierre Dardot, philosophe, et le sociologue Christian Laval. Ils publient "Dominer" à La Découverte.
- Pierre Dardot Philosophe, ancien militant trotskiste.
- Christian Laval Sociologue, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Alors que Boris Johnson a défié le droit international en présentant un projet de loi qui renie en partie les engagements pris dans le cadre de l’accord sur le Brexit conclu fin 2019, l'heure est peut-être à un retour aux notions d'Etat et de souveraineté. En effet, face à la menace de la globalisation et de la circulation incontrôlée des flux, virus y compris, la souveraineté des Etats aurait cédé sa place à un système néolibéral incarné par les multinationales, les mafias et autres agents de la globalisation capitaliste. Il s’agirait ainsi de revenir à la puissance d’antan de l’Etat-nation pour faire face à l’angoisse du présent.
La pandémie été un révélateur de l’impuissance des Etats : ils ne se sont jamais autant réclamés de leur souveraineté qu’aujourd’hui, alors même que dans la conduite de cette crise ils ont d’abord manifesté leur profonde impuissance.
(Pierre Dardot)Publicité
[De l’Etat], nous n’attendions pas cette domination absolue voire ces abus, ces arbitraires ; nous attendons de la solidarité.
(Christian Laval)
C’est contre cette idée que s’élèvent Pierre Dardot, philosophe et chercheur à Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, et Christian Laval, professeur émérite de sociologie au sein de cette même université. Animateurs du groupe d’études et de recherche Question Marx, tourné vers le renouvellement de la pensée critique, et après avoir publié ensemble des ouvrages comme La Nouvelle Raison du monde (La Découverte, 2009) ou Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014), ils reviennent aujourd’hui avec Dominer (La Découverte, 27.08.20), une grande « enquête sur la souveraineté de l’Etat en Occident ».
Le propos de notre livre est de rappeler ce qu’a été le passé, dans lequel nous vivons, qui est la forme de l’Etat souverain. Ce qui nous importe, c’est la domination.
(Christian Laval)
Ils montrent ainsi la place que l’inconscient étatique occupe dans notre imaginaire et jusque dans la pensée des libéraux. Dessinant à travers cet ouvrage - qu’un second viendra compléter - une généalogie des concepts d’Etat et de souveraineté, ils retracent les temps forts de leur construction: ainsi s’arrêtent-ils notamment sur la révolution papale de 1075, date à laquelle le pape Grégoire VII déclara la souveraineté politique et juridique de la papauté sur la totalité de l’Eglise et l’indépendance du clergé vis-à-vis des pouvoirs séculiers. En outre, ils en passent aussi par l’ascension du néolibéralisme, incompatible d'abord avec des Etats tournés vers les intérêts nationaux.
Ces formes de pouvoir nouvelles sont impensables sans la souveraineté, jusqu’au néolibéralisme : le néolibéralisme est impensable si on ne prend pas en compte la force, la présence de l’Etat. Les néolibéraux ne se cachent pas sur la nécessité d’un Etat fort.
(Christian Laval)
Et, en filigrane, la question de savoir si l’organisation politique du monde que nous connaissons aujourd’hui, laquelle favorise un Etat entrepreunarial marchant de concert avec le néolibéralisme et la globalisation, est adaptée aux défis majeurs qui se présentent à nous, menace écologique en tête.
Il y a une concurrence entre les Etats-nations, y compris au sein de l’union européenne. On l’a vu avec la tragédie de la pandémie, il y a eu une concurrence acharnée.
(Pierre Dardot)
Extraits sonores :
- Emmanuel Macron sur la souveraineté (31 Mars 2020)
- Michel Foucault sur le "biopouvoir" (Collège de France, 17 mars 1976)
- Edgar Morin (Radio Debout - 65 Mars)
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