Face à l'injonction actuelle à produire des spectacles engagés, existe-t-il encore des pièces de théâtre réellement politiques? Olivier Neveux nous en parle dans "Contre le théâtre politique" (La Fabrique, avril 2019).
- Olivier Neveux Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon.
Alors qu'il y a dix ans, les pièces politiques étaient rares, elles sont aujourd’hui pléthore, cristallisant l'injonction actuelle à produire des spectacles engagés. Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’ École normale supérieure de Lyon, nous parle ainsi des paradoxes du théâtre politique et des articulations entre politique, théâtre et art dans Contre le théâtre politique (La Fabrique, 2019). Un titre ironique pour un essai qui ne se veut pas prescripteur mais qui pose des hypothèses.
Contre le théâtre politique, pour qu'on tente de réinviter des rapports féconds, embarrassés, politiques, conflictuels entre théâtre et politique.
(Olivier Neveux)Publicité
S'attaquant notamment à la politique néolibérale de l'ère macroniste, il montre à quel point les créations peuvent être un enjeu de pouvoir dont il s'agirait de tirer une utilité. Les artistes, devenus de véritables travailleurs sociaux, doivent ainsi composer avec les obligations et commandes publiques dans le cadre d'une production théâtrale à but moral, civilisateur et divertissant. Parmi d'autres thématiques, l'absence des gens de théâtre dans les mouvements de contestation et la frontière de plus en plus poreuse entre public et privé, les institutions et les compagnies n’obéissant jusque là pas aux mêmes temporalités ni aux mêmes exigences. En outre, Olivier Neveux marche dans les pas de Jacques Rancière en prônant la valeur émancipatrice d'un théâtre qui perturbe le monde de l'individu, se distinguant ainsi d'un Bertolt Brecht ou d'un Jean Vilar pour qui le théâtre est considéré à l'aune du collectif.
Le néolibéralisme a notamment pour caractéristique de ne pas savoir quoi faire de ce qui ne produit pas de la valeur. [Or] le théâtre est une activité un peu anecdotique ou bizarre.
(Olivier Neveux)
Surtout, si les pièces politiques se veulent plus critiques que réellement subversives, il reste encore des espaces d’émancipation au théâtre, qui seraient à chercher dans le "Petit", concept cher à Walter Benjamin et que l'on retrouve dans des pièces comme Modules Dada d’Alexis Forestier, Le Chagrin d’Hölderlin de Chantal Morel ou Hate radio de Milo Rau, l'espace du "castelet" qui, ce sont ses mots, permet de "cerner la tension qui se noue entre la nécessité du détail et l’immensité de ce qu’il y a à embrasser". Enfin, une forme de troisième lieu serait à chercher dans les passages secrets entre art et politique que permet la fiction. C'est notamment l'adage selon lequel en passer par le faux théâtral nous rapprocherait du vrai.
Le théâtre n'est pas juste un instrument de communication. Est-ce qu'il peut produire un savoir-propre plutôt que d'être le dépliement des grandes questions thématiques dont les médias nous abreuvent?
(Olivier Neveux)
On peut se raconter que le théâtre va changer le monde. Moi je ne le crois pas, mais il peut tout au moins changer le monde de chacun, et c'est déjà énorme.
(Olivier Neveux)
Extraits sonores :
- Jacques Rancière (France Culture, Les Chemins de la philosophie, 07/12/2018)
- Jean-Marc Dumontet, Festival Paroles Citoyennes (Europe 1, 11/02/2018)
- Extrait de "Hate Radio" de Milo Rau
- Jean Vilar (France Culture, "A voix nue",10/07/1997)
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