Les réseaux sociaux sonnent-ils le glas de l’amour ?

"Aujourd’hui qu’est-ce que l’amour ? C’est l’art délicat d’un texto. C’est hésiter, répondre, effacer et réécrire. C’est le cœur qui bondit après l’avoir reçu. C’est une déclaration dans un long mail. C’est un long mail qui devient une déclaration. C’est un selfie à deux ; une photo que l’on fait tirer. Les messages qui arrivent, du matin au soir, se répondent et parfois s’entrecroisent. C’est écrire la même chose, au même moment. Les SMS qui font sourire, les échanges sur WhatsApp qui deviennent des romans-fleuves, les stories et les reels. Ce sont aussi les charmes, les cœurs, les matchs sur les applications de rencontres" : telle est la nouvelle définition, mouvante et connectée, qu'Éliette Abécassis propose de l'amour moderne, dans les premières pages de son livre De l’âme soeur à Tinder, Larousse, janvier 2022.

Comment penser l'amour dans le nouveau vocabulaire - et donc le nouveau paradigme de pensée - des applications ?  Matcher, swiper, stalker ou encore ghoster : les verbes à la mode seraient-ils le symptômes d'un appauvrissement de la relation ?

Éliette Abécassis s'interroge sur le renouveau des expressions du sentiment amoureux et livre une analyse du mythe de l'amour au XXI° siècle.

"On assiste à un changement de paradigme, explique la romancière et essayiste Eliette Abécassis : on quitte le mythe de l'amour passion, de l'amour absolu, figuré par le mythe des androgynes. On est passé d'un schéma romantique des années 50 de Elle et Lui à celui des comédies romantiques, dont le modèle est LalaLand".

Pour l'écrivaine, tout n'est pourtant pas à rejeter des formes nouvelles de l'amour : ainsi elle définit le texto comme le descendant du billet amoureux, de la correspondance galante : "Je crois que le texto c'est une manière de retrouver le romantisme de s'écrire."

"D'autres innovations sont plus clairement biaisées par l'application du modèle de marché au champs amoureux :  les applis deviennent un marché des sentiments," déplore Eliette Abécassis, "on passe, et si ça ne convient pas, il y a mille possibles qui accourent aussitôt. C'est trop de choix qui nuisent au choix lui-même, dans l'infini des possibles." D'autant plus que ces choix sont assortis de collecte de données :  "On est au cœur du système, et il s'agit de sentiments … c'est très gênant."

La grande différence entre le paradigme "romantique" et contemporain, est pour elle le temps : "Cette transcendance dans l'amour, ce qui la menace le plus aujourd'hui, c'est le temps. On a un temps extrêmement fragmenté aujourd'hui. Un temps accéléré. Or ça prend du temps de s'aimer, il faut s'ennuyer."

Faut-il le déplorer, s'en réjouir ou simplement le constater ? L'heure est d'abord à l'amour de soi : "Si on ne trouve pas le bonheur en l'autre, il va falloir le trouver en soi, d'où tout le succès du développement personnel".

A noter

• La parution en janvier 2022 de La Transmission (Robert Laffont), récit d'Eliette Abécassis

Extraits sonores :

• Bande-annonce de Lalaland
• Eva Illouz sur France Culture, février 2020
• Les Pieds sur terre (Love me Tinder), août 2018
• Les Femmes de ses rêves, Peter Farrelly et Bobby Farrelly