

Plateformes du numérique : le mythe du salarié indépendant? Dominique Méda, philosophe et sociologue, nous parle des illusions du micro-entreprenariat dans "Les nouveaux travailleurs des applis" (PUF, septembre 2019), ouvrage qu'elle a co-dirigé avec Sarah Abdelnour.
- Dominique Méda Professeure de sociologie à Paris-Dauphine, Productrice chez France Culture
Entre espoirs liés à une économie collaborative et inquiétudes quant à la prolétarisation des travailleurs, lesquels deviendraient de nouveaux «tâcherons du clic» (Antonio A. Caselli)), les plateformes numériques impliquent de nouvelles configurations du monde du travail. De Uber à Etsy, en passant par La Belle Assiette, la « gig economy » s’impose dans les imaginaires comme une économie disruptive, qui, à première vue, rend poreuses les frontières entre travail professionnel, domestique et bénévole.
Que serait le travail dans une société post-croissance? [...] Sans doute, plus de relocalisation, des coopératives, de l'artisanat... Une sortie du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui.
(Dominique Méda)Publicité
Surtout, les plateformes numériques véhiculent avec elles de nombreux mythes qu’il est important, nous dit Dominique Méda, de remettre en question. Sociologue et philosophe, professeure à l’ Université Paris Dauphine, spécialiste du champ de la sociologie du travail, et notamment des rapports d’égalité ou d’inégalité hommes/femmes, elle nous présente aujourd’hui Les nouveaux travailleurs des applis (PUF, 2019), un ouvrage qu’elle a co-dirigé avec Sarah Abdelnour et qui revient sur différents aspects de l’économie de plateforme.
Des changements de législation que celle-ci pourrait impliquer à la remise en doute de sa valeur collaborative, l’économie de plateforme joue pleinement le jeu du capitalisme. Pour preuve, la comparaison courante du système de « crowdsourcing » - soit l'externalisation d’activités considérées comme mineures vers une multitude d’internautes – au « sweating system » qui, au XIXème siècle, désignait un fonctionnement du travail par lequel un intermédiaire tirait son profit de sa capacité à faire « suer » les ouvriers. Face aux aspirations à revenir à la figure pré-industrielle et pré-salariale du travailleur, de nombreux chercheurs nous rappellent que l'exploitation régissait déjà le monde professionnel en ce temps là.
Ces personnes qui ont rêvé de travail autonome se retrouvent dans des conditions pires que celles du salarié : les manières de travailler sont en train de changer, avec du travail caché, des clics derrière l’ordinateur... Une partie du travail est plateformisée, tâcheronnisée, fragmentée, cachée...
(Dominique Méda)
Pour les travailleurs des plateformes qui, en grand nombre, se sont mis à leur compte afin d’échapper à des conditions salariales de plus en plus dégradées, les faibles revenus et le lien de subordination auxquelles les soumettent ces plateformes sont autant d’espoirs déçus. En outre, à l'aune de la réforme des retraites prônée par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, qui promet un régime plus universel basé sur un système de points, il est à craindre que ces micro-entrepreneurs, majoritaires au sein des plateformes, soient encore plus fragilisés.
On nous a laissé croire que les gens qui allaient adopter ce statut [de micro-entrepreneur] allaient devenir de vais entrepreneurs. Or un vrai entrepreneur choisit sa clientèle, définit ses tarifs, la manière don il travaille... il est complètement libre. [...] Avec ce statut d'auto-entrepreneur, on ne devient pas un véritable entrepreneur ; les travailleurs des plateformes n'ont quasiment aucune liberté.
(Dominique Méda)
Extraits sonores :
- Nicolas Sarkozy sur les travailleurs non assistés (14/05/2009)
- Stephen Leguillon (La Belle Assiette, LES ECHOS.FR, Neïla Beyler, 22/03/2016)
- Nassim Hamidouche, "licencié" de Deliveroo (Le Média, 09/09/2019)
- Jean-Paul Delevoye (LCI Grand Format, 19/07/2019)
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation
- Collaboration
- Production déléguée
- Collaboration
- Réalisation
- Collaboration
- Collaboration