Printemps arabes : la révolution des mots ?

Manifestation contre le régime d’Assad et appel au soutien de la communauté internationale, 28 août 2020, Arihah (Syrie)
Manifestation contre le régime d’Assad et appel au soutien de la communauté internationale, 28 août 2020, Arihah (Syrie)  ©Getty - picture alliance / Contributeur
Manifestation contre le régime d’Assad et appel au soutien de la communauté internationale, 28 août 2020, Arihah (Syrie) ©Getty - picture alliance / Contributeur
Manifestation contre le régime d’Assad et appel au soutien de la communauté internationale, 28 août 2020, Arihah (Syrie) ©Getty - picture alliance / Contributeur
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Conserver les images et les mots qui ont fait les soulèvements populaires syriens de 2011, c'est faire vivre encore dans les coeurs une révolution empêchée par l'armée. Un combat pour la liberté mené sur le terrain de la mémoire par la graphiste syrienne Sana Yazigi et le politologue Ziad Majed.

Avec
  • Sana Yazigi fondatrice de Creative memory, graphiste syrienne
  • Ziad Majed Chercheur et politiste franco-libanais, professeur à l'Université américaine de Paris

Mars 2011, dans le sillage des printemps arabes qui verront bientôt trois chefs d'état tomber du pouvoir, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte, Khadafi en Libye, le peuple syrien se soulève. Des milliers de citoyens descendent dans les rues, exigeant le départ de Bachar el Assad, au pouvoir depuis 2000, succédant à son père Hafez El-Assad aux commandes du pays de 1970 à sa mort. 

La chute de Ben Ali, ce moment tunisien, a servi d'accélérateur. Après Ben Ali qui dirigeait la Tunisie depuis 1987, ça a été la chute Mubarak où depuis 1952 il n'y avait eu que 3 présidents, et Mubarak aux commandes depuis 1981, la Lybie puis le Bahreïn et enfin la Syrie qui était peut-être la surprise pour la majorité des Arabes mais aussi des Syriens car la dictature y était plus violente. Ce moment tunisien a accéléré l'Histoire dans la région pour des sociétés sur lesquelles la peur, la violence, s'abattaient régulièrement. Ça a été le début d'un réveil, d'un processus révolutionnaire qui se poursuit malgré les échecs et les défis. (Ziad Majed)

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En Syrie, on se rappelle du 18 mars, mais il y en a eu d'autres avant, comme le 14 février 2011. Après l'humiliation d'un jeune homme par un policier à Damas, 1 500 personnes se sont rassemblées en quelques minutes pour demander à ce que le peuple syrien ne soit pas humilié (Sana Yazigi). 

Soulèvements populaires sans précédents, ce moment révolutionnaire permet aussi la libération de la parole et de l'expression politique, dans toutes les sphères, sous toutes ses formes. Des appels aux rassemblements sur les réseaux sociaux, aux graffitis politiques et poétiques, qui recouvrent les murs, les syriens se saisissent de l'image sous toute ses formes, dans un Etat où la liberté d'expression est loin d'être acquise. Cette créativité littéraire et artistique d'une génération nouvelle marque la graphiste syrienne Sana Yazigi autant que le politologue Ziad Majed dès 2011, eux qui ont contribué au récent   Il était une fois les révolutions arabes un ouvrage collectif s'interrogeant sur l'idée de révolution dans le monde arabe et ses mots.

J'aimerais insister sur les "mots" plus que les " slogans ". Les slogans peuvent se transformer en programme politique. Les mots c'est autre chose, c'est nous, ça décrit ce qu'on vit, de quoi on souffre (...) Quand on dit " dégage " ça peut être un slogan, une revendication. Mais quand on dit à Bashar El Assad "Celui qui tue son peuple est un traître" ce n'est pas un slogan. Ce sont des mots. Quand on dit "liberté" ce n'est pas non plus un slogan. Ces mots, ce sont ceux qui reflètent nos pensées, nos aspirations, qui réunissent alors que les slogans peuvent diviser. Les mots ne divisent jamais (Sana Yazigi). 

"Le peuple veut faire chuter le régime", c'est la volonté de défier un ordre qui écrase les gens depuis des années. C'est là que tout a commencé avec l'apparition de l'expression "Al-Cha’ab yourid isqat al-nidham". Cette fois-ci c'était le peuple qui parlait directement pour occuper l'espace public, le temps politique, c'est la naissance de l'acte révolutionnaire, d'un nouveau concept dans l'espace régional (Ziad Majed). 

Confisquée par une répression militaire sanglante, la révolution syrienne connaît un coup de grâce avec la montée des mouvements contre-révolutionnaires en 2013. Une " révolution orpheline", pour le le politologue Ziad Majed qui en analysait en 2014 les jeux d'influences et la géopolitique ayant conduit aux interventions russes et iraniennes au secours du régime. 

2013, c'est aussi l'année lors de laquelle Sana Yazigi, exilée à Beyrouth d'abord pour quelques mois, désormais sine die, décide de fonder un site internet qui recenserait les images et les textes de la révolution. C'est non seulement un travail d'archivage colossal, mais aussi de documentation, de classification de milliers de photos, de graffitis, de courts et longs métrages, de poèmes... témoignant de l'aspiration du peuple syrien à une liberté confisquée. 

Avec ce site " Creative Memory " à explorer en français, en anglais et en arabe, la graphiste entend faire vivre la mémoire du combat syrien pour la liberté, mais aussi rassembler un peuple dispersé par la guerre, 13 millions de déplacés dont 4 millions hors des frontières syriennes, principalement accueillies par les pays frontaliers. Au-delà, l'effort rigoureux de documentation (source, datation, contextualisation) apporté à chaque document fait de ce site une véritable source historique, qui permettra une réappropriation de l'Histoire face à la propagande et à l'impossible liberté d'expression. 

L'écriture sur les murs, les graffitis racontent la vie, le vécu au quotidien des gens (...) Les graffitis étaient partout en Syrie, notamment dans une petite ville, Saraqeb, que nous syriens ne connaissions même pas, loin du centre du pouvoir, difficilement contrôlable, les gens ont écrit sur les murs au quotidien et l'ont appelé " cahier intime des syriens " pour s'exprimer mais aussi pour représenter tous les syriens. Cet art était pour nous inédit, s'exprimer dans l'espace public c'était nouveau (Sana Yazigi)

La Grande table culture
27 min

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