L'auteur japonais Akira Mizubayashi vient de remporter le prestigieux Prix des Libraires pour son dernier roman écrit en français, "Âme brisée" (Gallimard). Une histoire sur la reconstruction et sur le rapport au passé doublée d'une ode à la puissance de la musique.
- Akira Mizubayashi écrivain franco-japonais
Akira Mizubayashi est un auteur de nationalité japonaise mais qui écrit en français. Au Japon, il a été professeur de français à l'université, de 1983 à 2017. Il rédige son premier livre dans la langue de Molière en 2011, alors qu'il est âgé de 59 ans. L'ouvrage en question est un essai qui s'intitule Une langue venue d’ailleurs (Gallimard), qui lui vaudra notamment le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises 2011.
En 2013, il publie Mélodie, chronique d’une passion, une ode d’amour à sa chienne, puis un nouvel essai en 2014 : Petit éloge de l’errance. C'est en 2017 qu'il écrit son premier roman en français, avec Un amour de mille ans. Il a aussi publié en 2018 Dans les eaux profondes, un ouvrage sur les bains japonais.
Le 29 août 2019 est sorti chez Gallimard Âme brisée, son sixième ouvrage écrit en français. Le roman a remporté le 3 juin dernier le Prix des Libraires 2020 suite au vote de 1600 libraires. Akira Mizubayashi est donc le 66ème lauréat et succède notamment à Patrick Modiano, Didier Decoin, Philippe Delerm, Delphine de Vigan, Fred Vargas ou encore Yasmina Khadra.
Pourquoi j'ai choisi la langue française pour écrire ce livre ? Parce que, justement, ça permet de créer des relations sociales entre les personnages, en particulier ces quatre musiciens qui jouent ensemble le quatuor de Schubert. L'égalité des sujets, des interprètes, des individus qui jouent cette oeuvre musicale magnifique doit commencer d'abord dans la langue. C'est la raison pour la quelle il m'a semblé tout à fait approprié de m'exprimer dans la langue française.
(Akira Mizubayashi)
L'histoire d'Âme brisée se déroule au Japon et en France, entre 1938 et le début des années 2000. Le lecteur suit Rei, un enfant japonais qui a 11 ans en 1938. Son père, féru de musique, est arrêté avec trois autres musiciens amateurs alors qu'ils étaient en train d'interpréter le morceau "Rosamunde" de Schubert. Ils sont en effet soupçonnés d'être des dissidents politiques. Alors qu'ils sont emmenés au poste, un soldat brise le violon de son père.
Rei, qui s'était caché dans une armoire, est recueilli par un ami français de son père. Il prend alors une nouvelle identité et prend le nom de Jacques Maillard. Il devient luthier en France et cherche à reconstruire le violon de son père; à travers cet objet symbolique, c'est bien la mémoire perdue de son géniteur qu'il tente de retrouver.
Je suis allé à Hiroshima, et c'est à Hiroshima que j'ai vu subitement la possibilité d'un roman qui questionne les zones de catastrophes engendrant des fantômes. La zone de catastrophe par laquelle je me sens le plus concerné, c'est la guerre de Quinze ans, entre 1931 et 1945. C'est une période que je n'ai pas connue, mais que je vis par procuration, parce que mon père l'a douloureusement vécue. (...) C'est la raison pour laquelle je raconte cette histoire qui démarre en 1938. Je suis hanté par cette période de la guerre coloniale et fasciste.
(Akira Mizubayashi)
Dans son titre, l'auteur ne parle pas de l’âme dans sa signification traditionnelle, mais de la pièce essentielle et presque invisible présente dans les instruments à corde et qui leur permet de fonctionner correctement. L’âme brisée, c’est donc la pièce du violon du père détruite lors de son arrestation en 1938.
La musique apparaît comme un refuge d’humanité; elle est un lien entre les êtres humains, une puissance qui permet de dépasser le politique, le temporel, pour parvenir, à travers l’émotion, à une communion humaine.
Ce qui manque cruellement dans l'enseignement au Japon, c'est la culture de l'esprit critique et du débat, c'est quelque chose que l'on n'as pas encore su transplanter sur le sol japonais. Cette question est liée chez moi au choix de la musique de Schubert. Je me suis dis que la forme du quatuor à corde était tout à fait appropriée pour aborder ce personnage. Le quatuor à cordes est un genre que j'aime tout particulièrement. (...) Quatre musiciens jouent ensemble, deux violons, un alto et un violoncelle, et chacun s'affirme en tant que singularité irréductible, mais chacun est constamment à l'écoute des autres. Si l'un d'entre eux n'est pas attentif à ce que font les autres, ils n'arriveront jamais à réaliser un ensemble cohérent et harmonieux.
(Akira Mizubayashi)
Extraits sonores:
- Extrait du 3ème mouvement du quatuor numéro 16 en fa majeur, opus 135, de Ludwig van Beethoven, interprété le 1er juillet 2015 par la Seiji Ozawa International Academy of Switzerland à la fondation Louis Vuitton.
- Extrait du quatuor à cordes n°13 en la min op 29 D 804 ("Rosamunde") de Franz Schubert, interprété par le Quatuor de Budapest.
- Renaud Capuçon, interviewé par Caroline Broué dans La Grande Table du 8 février 2016.
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