Joann Sfar, en première ligne : épisode 1/5 du podcast Littérature française : l'air du temps

"Aspirine" (Joann Sfar)
"Aspirine" (Joann Sfar)  -  droits réservés éditions Rue de Sèvres
"Aspirine" (Joann Sfar) - droits réservés éditions Rue de Sèvres
"Aspirine" (Joann Sfar) - droits réservés éditions Rue de Sèvres
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Joann Sfar, dessinateur, auteur et réalisateur ultra-prolifique, est notre invité aujourd'hui pour parler de ses dernières oeuvres : un roman, "Le dernier juif d’Europe", une BD, "Fashion Week", et un film d'animation, "Petit vampire".

Avec
  • Joann Sfar Dessinateur, auteur de bande dessinée, et réalisateur

A 48 ans, l'auteur et dessinateur Joann Sfar a derrière lui un palmarès impressionnant de bandes dessinées, films ou romans, avec notamment plus d'une centaine d'albums à son actif : de Donjon à Pascin et de Klezmer à Chagall en Russie, sans oublier les plus fameux, Le Chat du rabbin, Petit Vampire ou Aspirine. Celui qui se décrit comme un "dessinateur compulsif" publie pas moins de trois ou quatre albums et un ou deux romans par an. Cette année aura ainsi vu paraître un roman, Le Dernier Juif d'Europe (Albin Michel, mars), sélectionné pour le Prix Renaudot 2020, une BD, Fashion Week(Dargaud, mars), suite illustrée de sa série de romans Le Niçois, ainsi qu'un film d'animation, Petit vampire, adapté de sa célèbre BD et qui sera présenté au Festival du film d'animation d'Annecy (15 au 20 juin). 

C’est bizarre parce que plus j’écris des horreurs, plus je le fais avec légèreté et plus je pose la plume avec le sourire le soir… Je crois qu’il y a une espèce de sadisme de ma part à vouloir partager mes angoisses avec le lecteur.      
(Joann Sfar) 

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Dans Le Dernier juif d'Europe, publié juste avant la pandémie de Covid-19, Joann Sfar fait évoluer ses personnages dans ce qu'il appelle le "Monster World", qui fait curieusement écho au monde dans lequel nous vivons actuellement... 

Il y a une permanence tragique (…). On a envie de se crever les yeux tellement les événements sont tristes ; et cependant, on peut chanter. Il y a une telle accélération des drames que notre cerveau n’arrive plus à les analyser, on est en tachycardie cérébrale. C’est ça que j’ai appelé le Monster World.      
(Joann Sfar)

Ce que j’ai appelé le Monster World, c’est l’inverse de tous les récits de science-fiction habituels, c’est-à-dire que les cataclysmes nous tombent dessus et nous on fait du yoga, du pain. (…) C’est le moment où il y en a tellement qu’on ne voit plus le monstrueux. (…) On a acquis la conviction que même face à l’apocalypse, on continue comme on a dit. (…) La part citoyenne en moi est attristée, mais la part dramaturge, ça la fait marrer.      
(Joann Sfar)

Le Dernier juif d'Europe offre un récit rocambolesque au croisement entre Kafka et Süskind : on y suit les péripéties d'un vieux Juif qui refuse de l'être et se fait reconstituer le prépuce, ainsi que d'une troupe de monstres attendrissants guidée par Ionas le vampire et Rebecka la psy pour monstres. Dans un monde où l'antisémitisme enfle dangereusement, la troupe de gentils monstres se lance à la poursuite d'une immonde bête, "dieu de la haine et de la connerie", qui semble bien être derrière tout ça... 

J’aime bien donner des visages aux maladies mentales, et le racisme est une maladie mentale, la haine des juifs aussi. Pourquoi c’est monstrueux ? Parce que ce sont des comportements hérités de générations très anciennes et on sait parfois même pas pourquoi on déteste tel groupe humain. J’essaie de ne pas prôner la bonne parole, le bien, mais de montrer de la manière la plus choquante, provocante, rigolote comment on pourrait se débarrasser de ce diable.      
(Joann Sfar)

La littérature de bon goût ne peut pas se battre face au vomi quotidien de ce qu’on reçoit. Il faut ressusciter la littérature tragi-comique, qu’elle vienne de chez Rabelais ou des romanciers juifs-américains, cette littérature qui n'a pas peur de se salir les mains, d’aller dans l’effrayant, le monstrueux, le grotesque : l’époque appelle ça. (…) En ce moment il faut un appétit pour le dégueulasse, sinon on ne mange rien !      
(Joann Sfar)

Pour l'auteur-dessinateur, raconter des histoires est aussi naturel que respirer. Il souligne l'importance des récits en période de crise et défend une vision de "pessimiste joyeux" en citant Brassens. Toujours hyperactif, Sfar a continué à dessiner et publier pendant le confinement, via les réseaux sociaux : il a  ainsi décidé de publier intégralement sur son compte Instagram le dernier album de sa série Aspirine, histoire d'une vampire adolescente confinée pour l'occasion et à la recherche d'un vaccin contre le coronavirus !

Résilient, c’est pour faire croire qu’on est solides. Je ne crois pas qu’on soit solides, je crois qu’on est tous veules, fragiles, on se contredit, on dit n’importe quoi, c’est pour ça que le théâtre est important : raconter des histoires c’est pas pour défendre une cause, c’est pour expliquer à quel point on est anxieux, à quel point on est paumés.      
(Joann Sfar)

Il y a toujours eu des BD pendant les périodes de drame : pendant la guerre les Américains faisaient des super-héros qui allaient casser la gueule aux nazis. Alors là j’ai mis des vampires sur la traque du virus, c’est débile, ça n'a pas de sens mais j’aime bien en poster tous les jours (…) et je l’ai mis sur Instagram. Je continue d’ailleurs, je suis le mec qui sait pas que Paris a été libéré et qui continue à être dans sa cave.      
(Joann Sfar)

Extraits sonores :

  • La définition du bonheur selon Clément Rosset (Archive INA de l’émission « Les chemins de la connaissance », France Culture, 02 février 1989)
  • « Mon dernier voyage » de Thousand sur son nouvel album Au Paradis (Talitres, 2020). 
  • Extrait interview Christo (Euronews, 20 juin 2016)

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