Leïla Slimani, écrivaine franco-marocaine lauréate du Prix Goncourt en 2016 pour son deuxième roman, "Chanson douce", publie en mars "Le pays des autres" chez Gallimard. Une fresque délicate du Maroc colonial des années 1950, à travers l'histoire intime d'une famille.
- Leïla Slimani Écrivaine
On ne présente plus Leïla Slimani. Écrivaine franco-marocaine propulsée sur le devant de la scène avec le Prix Goncourt 2016 pour Chanson douce, représentante de la francophonie d'Emmanuel Macron mais qui ne s'empêche pas pour autant de critiquer sa politique migratoire, féministe engagée qui publie en 2017 Sexe et mensonges, un essai sur la "misère sexuelle" au Maroc, où elle milite pour la légalisation de l'avortement... Très présente dans les médias (rédactrice en chef du numéro des Inrocks du 26 février), elle incarne la figure de l'intellectuelle engagée.
Un écrivain est forcément engagé dans la mesure où on écrit parce qu’on est insatisfait. Il y a toujours une forme de révolte vis-à-vis du monde tel qu’il est, on cherche des réponses. (…) Il y a aussi un engagement physique dans l’écriture.
(Leïla Slimani)Publicité
Mais Leïla Slimani est avant tout une grande romancière. Après deux romans concis et contemporains, l'un sur l'addiction sexuelle d'une femme ( Dans le jardin de l'ogre, 2014, Gallimard), l'autre sur l'histoire d'une nounou assassine ( Chanson douce, 2016, Gallimard), Leïla Slimani revient avec un troisième roman très différent, qui constitue le premier volet d'une trilogie sur l'histoire du Maroc depuis les années 1950 et le colonialisme jusqu'à aujourd'hui.
C'est par le biais de l'intimité d'une famille que l'auteure choisit de dépeindre cette histoire, "à hauteur d'âmes". Ce premier volet commence juste après la Seconde Guerre mondiale, lorsque Mathilde, jeune Alsacienne fantasque et éprise d'aventures, tombe amoureuse d'un beau soldat marocain, Amine, en garnison près de chez elle. Ils se marient puis partent s'installer dans la ferme héritée du père d'Amine, près de Meknès, au Maroc. Dans une société encore très patriarcale et en proie aux grondements de l'indépendance, ce couple mixte est confronté au regard méfiant de la communauté : Amine parce qu'il est "trop Français", Mathilde parce qu'elle est Française et trop éprise d'indépendance... Une histoire fortement autobiographique, puisque la grand-mère de Leïla Slimani, alsacienne, a épousé un Marocain dans les années 1950.
Chaque communauté les regarde comme des traîtres : Mathilde a trahi sa communauté blanche, et Amine a trahi son pays, puisqu’il est marié à une femme du pays ennemi.
(Leïla Slimani)
La littérature est une entreprise d’échec continuel. On a toujours l’impression d’échouer, ça n’est jamais le livre tel qu’on le voulait. Comme disait Beckett, il faut chercher à échouer mieux.
(Leïla Slimani)
Leïla Slimani signe ainsi non seulement un roman de la décolonisation, mais surtout un roman du métissage, à l'image de ce couple étrange, en apparence mal assorti, qui inverse les clichés coloniaux du colon français et puissant épousant une jeune Marocaine soumise. Pour l'exprimer, la romancière s'en remet aux mots et utilise une belle métaphore : celle du "citrange", mi-citronnier mi-oranger, qu'Amine fait pousser dans le roman avec sa fille Aïcha comme symbole de leur propre dualité. Dans sa langue subtile et précise, Leïla Slimani infuse l'idée que ce sentiment d'étrangeté est aussi celui de tout écrivain, qui observe les autres de l'extérieur tout en écrivant au plus proche de l'individu, de l'intérieur de ses perceptions.
Le métèque a cette position d’observateur extérieur, c’est celui qui est un peu de tous les autres. Ecrire, ce n’est rien d’autre que se mettre à la place de son prochain : peut-être que le métèque est le mieux placé pour ça.
(Leïla Slimani)
Comme toujours chez l'auteure, c'est aussi un roman qui parle de femmes, à travers une galerie de portraits délicats et contrastés : Mathilde, l'étrangère à la fois en quête d'indépendance et d'intégration ; Mouilala, la mère d'Amine, incarnation parfaite de la femme marocaine "à l'ancienne", docile et soumise ; Selma, la belle-fille moderne et rebelle, qui s'éprend d'un aviateur français avant d'être mariée de force à un homme qu'elle n'aime pas ; Aïcha, la fillette sauvageonne, feu qui couve en silence et observe les changements de la société autour d'elle...
Ce qu’on a tendance à oublier dans le monde occidental, c’est que le Maroc, et plus globalement le Maghreb, a vécu des changements à une vitesse prodigieuse. (…) Il faut du temps pour s’habituer à ces changements culturels, et c’est ça que je voulais raconter.
(Leïla Slimani)
Le deuxième tome de la trilogie, prévu pour 2022, devrait aborder les "années de plomb" au Maroc (1970-1980) marquées par les attentats contre Hassan II, à travers le mariage d'Aïcha. Enfin, dans le troisième tome prévu pour 2024, Leïla Slimani racontera l'histoire des enfants d'Aïcha dans un monde contemporain bouleversé par la mondialisation et la montée de l'islamisme.
Extraits sonores :
- Abnousse Shalmani, France Culture, "La Grande table", 30 octobre 2019, sur la définition du métèque
- Naguib Mahfouz, France Culture,"Cultures d'islam", 9 septembre 2008, sur l'écrivain non-engagé
- Archive RDF / ORTF du 31 juillet 1949, sur la jeunesse marocaine en 1949
- Souad Massi, "Ghir enta", Oumniya (Naïve, octobre 2019)
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