La romancière anglaise Daphné du Maurier s'est passionnée pour la vie, le destin et l’œuvre noirs de Branwell Brontë, l'unique garçon de la fratrie. Elle lui consacre un livre qui s'ouvre sur la mort de ce génie sans œuvres.
Dans les années 1950, Daphné du Maurier, la romancière anglaise, auteure notamment de Rebecca et des Oiseaux, portés à l'écran par Alfred Hitchcock, s'intéresse aux énigmes de la famille Brontë. C'est l'unique et ombrageux fils de la fratrie qui la fascine : Branwell Brontë. Celui qui devint l'ainé de Charlotte, Emily et Anne, après la mort de Maria et Elizabeth. Branwell, le génie malade qui a laissé derrière lui une foule de poèmes et de textes. Le créateur, maître et gouverneur du royaume imaginaire d'Angria et de Glass Town, la cité de verre.
Daphné du Maurier consulte les lettres et les biographies de la famille. Elle rassemble les traces de la vie de Branwell, et en tire un
livre rempli de questions : Le Monde infernal de Branwell Brontë. Un récit aux accents romanesques qu'elle choisit de commencer par la sidération de la fin. Le premier chapitre raconte ainsi un événement survenu le matin du dimanche 24 septembre 1848 : la mort de Branwell.
Son père, agenouillé à son chevet priait. Ces prières n'étaient plus pour lui prétexte à l'irritation, à l'ennui ou aux moqueries ; il n'y discernait plus les marmonnements inefficaces d'un vieil homme se cramponnant à une foi usée, mais la voix ferme et aimante de papa, son premier dieu, qui l'avait toujours aimé et ne l'avait jamais renié. Les trois femmes penchées sur lui avaient perdu leurs visages d'adultes. Ce n'était plus Charlotte, Emily et Anne, mais ses compagnes de jeu et ses esclaves ; les complices d'un monde magique, ses bien-aimés génies. Le Génie Talii lissait son oreiller ; le Génie Annii caressait son front, tandis que le génie Emmii veillait sur lui au pied du lit, et toutes trois attendaient les ordres du roi des Génies, Brannii. Il leur sourit et, contemplant ses mains vides, se demanda un instant, tout surpris, pourquoi elles n’étreignaient pas Sneaky, le petit soldat de bois qui avait porté bien des noms sans jamais cesser d'être lui-même.
On jurerait presque lire une scène extraite d’un roman gothique, mais c’est bel et bien un extrait des premières pages du Monde infernal de Branwell Brontë signé par Daphné du Maurier. Un texte à la fois glaçant et beau, notamment car il s'agit du chapitre le plus libre de ses sources, le moins érudit, comme un seuil ou un portique du récit dans lequel la romancière anglaise imagine, au sens fort, c'est à dire fait des images.
Daphné du Maurier compose ainsi son tableau horrifique dans le presbytère d'Haworth. Branwell malade et alité, entouré par son père, ses trois sœurs, et dans un coin, John le sacristain. Au pied du lit gisent les figurines de bois à partir desquels Branwell a rêvé ses personnages, mais peut-être est-ce une hallucination laissée par les souvenirs.
Tout le récit baigne ainsi dans une atmosphère de conte, pleine d’enfance et de pathétique. On croirait lire la scène inaugurale d’une bénédiction par des fées, mais radicalement renversée. Car les trois fées ne sont pas penchées sur un berceau, mais sur le lit d'un mourant. Et ce ne sont pas elles qui prononcent des oracles sur l'avenir de l'enfant, mais Branwell lui-même qui prophétise le succès de ses sœurs, je cite :
Un jour, leur dit-il, tous leurs livres seraient publiés. Un jour, tous quatre seraient célèbres.
Daphné du Maurier s'inscrit avec ce texte dans une tradition parallèle de l'histoire littéraire : celle du récit de la mort d'un poète. Comme la mort de Virgile racontée par Hermann Broch, ou celle de Goethe vue par Thomas Bernhard.
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