

L'écrivain autrichien Thomas Bernhard a reçu un certain nombre de prix littéraires au cours de sa carrière. Il a subi ces récompenses comme des malédictions, et comme le signe d'une décadence de la culture.
Aujourd’hui, une excursion : nous allons examiner comment se déroulent les prix littéraires ailleurs qu’en France. En 1963, l'écrivain autrichien Thomas Bernhard, publie son premier roman sous le titre Gel. A sa grande surprise, cet ouvrage reçoit un prix littéraire. Et pas n'importe quel prix littéraire, puisqu'il s'agit du "prix de la littérature hanséatique de la ville libre de Brème". Un prix prestigieux qui a couronné, après lui et entre autres, Peter Handke, Elfriede Jelinek, et W.G. Sebald (à titre posthume). Surpris par cette nouvelle, Bernhard est tenté de refuser la récompense. Il trouve ce premier roman mauvais, tout comme il avait jugé sa réception abjecte, de la louange béate à la descente par le feu.
L'année suivante, il fait l'expérience de l'autre côté en devenant membre du jury du "prix de littérature hanséatique de la ville libre de Brême". Il découvrira dans ce cadre, l'inculture généralisée, la non-lecture chronique (personne n’a lu Elias Canetti !) et un certain antisémitisme inquiétant de la bourgeoisie autrichienne.
Mais l’histoire entre Bernhard et les prix littéraires n'en reste pas là. En 1967, récidive, il reçoit un prix d'État, remis par le ministère de la Culture autrichien, qu'il exècre. Cependant, il ne reçoit pas le grand prix d'État qui couronne un auteur confirmé pour l'ensemble de son œuvre, on lui attribue le petit prix d'état, censé récompenser un jeune auteur. Or, à l'époque, Bernhard a déjà près de quarante ans. Ce prix a tout pour l’énerver…
On écoute la véhémence du style de Thomas Bernhard dans Mes Prix Littéraires, lu par Laurent Poitrenaux à Avignon en 2019. La suite du récit raconte la remise du prix par le ministre de la culture en exercice à l'époque, un certain Theodor Piffl-Perčević, que Bernhard déteste cordialement. L'auteur autrichien doit ensuite se prêter au difficile exercice que représente la rédaction d'un discours pour la réception d’un prix. Or, Bernhard a horreur des discours, et de l’art oratoire en général. Il prononce donc un réquisitoire dans lequel il parle de la mort et du "caractère nul et non avenu de tout état". Le ministre Piffl-Perčević le prend mal, et quitte la pièce dans un grand fracas. L’affaire fit scandale en Autriche.
En 1965, pour le prix de la ville de Brême, Bernhard compose un autre discours de réception, dans lequel il se livre à une méditation géniale autour d'une seule phrase : "le froid augmente avec la clarté". La clarté désigne celle de la connaissance et du progrès qui modifie notre perception des choses, elle s'accompagne tragiquement selon Bernhard d'une froideur non-négociable. Il constate la transformation et la disparition du conte au XXe Siècle, et décrit l'Europe comme "le territoire le plus abominable de toute l'histoire".
Finalement, l’une des seules raisons sérieuses d'accepter un prix, et qui se rappelle régulièrement à l'auteur d'une façon volontairement comique, c'est sa dotation en argent. Les milliers de shillings reçus permettent à Bernhard d'acquérir et d'entretenir une fermette à moitié en ruine, un lieu où enfermer et exprimer sa haine et sa détestation contre le monde.
Tous ces événements et bien d’autres sont rapportés dans le texte de Thomas Bernhard intitulé Mes prix littéraires. L’auteur autrichien y pousse son agacement au-delà de la simple émotion, de l’anecdote, ou du banal trait de caractère. Il serait injuste de ranger son texte sur le compte de la mauvaise humeur, ça va beaucoup plus loin que ça. Par l'imprécation, la phrase chercheuse et le sarcasme, Thomas Bernhard érige la colère au rang d’un sentiment du monde.
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