Certains romanciers et certaines romancières inventent les noms de famille de leurs personnages. D'autres, plus radicaux et rares, inventent des prénoms. Mais qui sont-ils ?
Aujourd'hui, on aborde un champ de recherche important et précis dans les études littéraires : l'onomastique des prénoms des personnages romanesques. Terme technique pour poser une question simple : comment les romancières et les romanciers trouvent-ils ou fabriquent-ils les prénoms de leurs personnages ? C’est parti pour une tentative de typologie lacunaire, selon l’audace des écrivains.
D’abord, il y a les écrivains qui puisent les prénoms de leurs créatures dans le réel immédiat. Comme Stendhal qui prénomme ses personnages : Mathilde, Fabrice, ou Julien. Et puis, il y a les autres. Ceux qui choisissent des prénoms originaux. Mais il existe une gradation dans l'originalité.
On écoute Jean Echenoz, raconter où et comment il a trouvé le prénom, aujourd'hui original, d' « Anthime » pour l’un des personnages de son roman 14.
Jean Echenoz sur le choix du prénom "Anthime" dans "14"
14 sec
Un prénom c'est souvent quelque chose qu'on trouve, sur un monument au mort, dans un livre, dans la rue, ou dans un patrimoine précis. Il y a ainsi les auteurs qui piochent dans un répertoire connu qui leur préexistent. Molière et Corneille empruntent certains noms de personnages à la comédie italienne.
Et il y a les écrivains, plus rares et plus radicaux, qui construisent par eux-mêmes les prénoms de leurs personnages. Une audace supplémentaire car inventer un nom de famille, d'une certaine manière, peut faire partie de l'ordinaire de l'écriture. Mais inventer un prénom... c'est toucher à un univers de référence ancien et préexistant à la fiction, c'est ajouter encore quelque chose de plus au réel, ajouter un prénom au stock et caractériser d’emblée un personnage.
Commençons d'abord par le plus évident : tout le secteur du fantastique, et notamment le registre de la fantasy. Ces auteurs qui conçoivent des mondes entiers avec leurs cartes et les peuples qui les habitent, créent une foule de prénoms. J.R.R. Tolkien invente ainsi avec la terre du milieu, la langue de ses habitants, et les prénoms issus de cette langue : Aragorn, Galadriel, Gimli, Legolas etc.
Sa compatriote britannique J.K. Rowling, dans le cycle Harry Potter adopte une esthétique mixte des prénoms : à côté des classiques Harry, Ronald, et du plus rare Hermione, on rencontre Severus, Albus, ou Drago prénoms transparents, mais néanmoins inventés, dans l'univers magique de Poudlard.
Élevons la complexité de l'exercice d'un degré supplémentaire : est-ce qu’il existe des auteurs qui fabriquent les prénoms de leurs personnages dans des romans non fantastiques ? Oui, et ils brillent par leur rareté.
Il en va ainsi de la figure prénommée "Lol", et inventée par Marguerite Duras, soit l'abréviation de "Lola", on salue la sonorité et la beauté du diminutif. Et, puisque nous sommes chez Duras, pourquoi ne pas évoquer le personnage de l'actrice "Savannah Bay" dont le prénom magnifique Savannah fait référence à un lieu.
On peut remarquer au passage que la fabrication des prénoms fonctionne souvent selon un principe d'emprunt à l'existant. Soit des prénoms existants sont modifiés, soit des substantifs ou des adjectifs deviennent des noms propres
Enfin, et pour conclure ce trop bref exposé sur les prénoms fabriqués en littérature, on ne peut pas ne pas signaler le travail magique de l'américain Thomas Pynchon, qui déploie un génie presque sans bornes dans ses inventions de prénoms. Ainsi son roman Mason & Dixon nous présente le personnage féminin répondant au mystérieux prénom de « Tenebrae ». Dans Vente à la criée du lot 49, on croise l’extraordinaire féminisation d'Œdipe en « Œdipa ». Le personnage principal du roman s’appelle Œdipa Maas. Son mari est surnommé Mucho. Mucho Maas.
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