Dans le roman d'Alexandre Dumas, le Comte de Monte-Cristo est souvent décrit comme un être pâle, macabre, et comparé à un certain Lord Ruthwen... Edmond Dantès serait-il, parmi mille autres visages, un vampire ?
Le Comte de Monte-Cristo est-il (en plus de tout ce qu’il est déjà) un vampire ?
Résumé des épisodes précédents : au début du 19ème siècle, Edmond Dantès est condamné à tort à la prison, pris à son corps défendant dans la trame d'un vaste complot parisiano-marseillais, privé de son mariage et de l'amour. Il passe 17 ans en prison dans une geôle du château d'If, c'est à dire dans quelque chose qui ressemble à l'enfer de Dante. Une fois sortie de prison, Dantès devient le Comte de Monte Cristo, qui ne respire, ne vit ou ne parle que pour une chose et une chose seulement : la vengeance.
C'est l'histoire du roman d'Alexandre Dumas publié en feuilleton dans le Journal des Débats à partir de l'année 1844, et qui rencontre un succès tonnant. Dans le chapitre 39, qui nous intéresse aujourd’hui, des jeunes hommes parisiens s'apprêtent à recevoir le Comte de Monte-Cristo qui leur apparait d'emblée comme une figure légendaire. Extrait :
- Il mange donc, votre homme extraordinaire ?
- Ma foi, s’il mange, c’est si peu, que ce n’est point la peine d’en parler.
- Vous verrez que c’est un vampire.
- Riez si vous voulez. C’était l’opinion de la comtesse G…, qui, comme vous le savez, a connu Lord Ruthwen.
- Œil fauve dont la prunelle diminue et se dilate à volonté, dit Debray ; angle facial développé, front magnifique, teint livide, barbe noire, dents blanches et aiguës, politesse toute pareille.
- Eh bien, c’est justement cela, Lucien, dit Morcerf, et le signalement est tracé trait pour trait. Oui, politesse aiguë et incisive. Cet homme m’a souvent donné le frisson ; un jour entre autres, que nous regardions ensemble une exécution, j’ai cru que j’allais me trouver mal, bien plus de le voir et de l’entendre causer froidement sur tous les supplices de la terre, que de voir le bourreau remplir son office et que d’entendre les cris du patient. - Ne vous a-t-il pas conduit un peu dans les ruines du Colisée pour vous sucer le sang, Morcerf ? demanda Beauchamp.
Au déjeuner parisien et mondain qui s’annonce, le Comte de Monte-Cristo ne mangera rien... et la pâleur de son teint frappe ceux qui le croisent. Car il ressemble trait pour trait à un vampire. Ce n’est pas systématique dans les portraits du Comte, néanmoins, pour marquer l'expérience proche de la mort par laquelle il est passé, Dumas l'affuble d'un discret aspect vampirique. Plus précisément, le roman renvoie à « Lord Ruthwen », le personnage du roman Le Vampire de John William Polidori publié en 1819, qui a durablement impressionné l'auteur des Trois Mousquetaires. Dumas composera d'ailleurs une pièce Le Vampire, d'après Polidori en 1851, tout comme il publiera post mortem un Robin Hood, d’après Walter Scott, en 1872. Alexandre Dumas, ou le vampire littéraire du roman populaire.
Revenons à Dantès : ce n'est pas un personnage solitaire, il n'y a d'ailleurs jamais de héros solitaire, c'est un personnage qui est aussi une citation de ceux qui l'ont précédé. Tout au long de son roman, Dumas le compare à bon nombre de héros de fiction, comme s'il avait pour lui à disposition des costumes ou des panoplies accrochées à des cintres. Au premier rang de ces héros, on trouve la figure des Mille et une nuits dont Dantès emprunte le nom comme un pseudonyme : Sinbad le marin. Sinbad sera la figure du bourlingueur des mers sans frontières, l'homme venu de l'Orient lumineux, à la mode au milieu du 19ème siècle. Lord Ruthwen le vampire sera son très exact envers. Une figure inquiétante, et le moyen pour Dumas de teinter son roman de la couleur du romantisme noir, de faire signe vers Byron et l'Angleterre. Le vampire devient surtout avec Dantès l'expression simple et pure de la vengeance, et de la soif inextinguible de sang.
L'équipe
- Production
- Réalisation