Le docteur Cottard est un personnage largement secondaire de "La Recherche du temps perdu" de Proust, et l'un des membres du salon des Verdurin. Pour traverser l'univers mondain et ses grandes ambiguïtés, il se compose un sourire provisoire...
Le nom du Docteur Cottard retentit pour la toute première fois dans le tout premier paragraphe d'Un amour de Swann, la seconde partie de Du côté de chez Swann, premier roman de la Recherche du temps perdu de Proust.
Mais qui est le docteur Cottard ?
C’est un habitué de cette chose sociale que représente le petit cercle mondain, le petit noyau, ou le petit clan qui se réunit dans les salons de M. et Mme Verdurin. Parmi cents faits d'armes, et de médecine, Proust nous apprend que le docteur Cottard a dû un jour, je cite le narrateur : "remettre [la mâchoire de Mme Verdurin] qu’elle avait décrochée pour avoir trop ri."
Mais le talent du personnage ne s’arrête pas là. Loin s’en faut. Car, devant le monde, et tous les gens qu'il contient, leurs faux-semblants comme leurs ambiguïtés, le Docteur Cottard adopte en toute circonstance une attitude radicale. Défense et illustration d'une idée géniale. Lecture.
Le docteur Cottard ne savait jamais d’une façon certaine de quel ton il devait répondre à quelqu’un, si son interlocuteur voulait rire ou était sérieux. Et à tout hasard il ajoutait à toutes ses expressions de physionomie l’offre d’un sourire conditionnel et provisoire dont la finesse expectante le disculperait du reproche de naïveté, si le propos qu’on lui avait tenu se trouvait avoir été facétieux. Mais comme pour faire face à l’hypothèse opposée il n’osait pas laisser ce sourire s’affirmer nettement sur son visage, on y voyait flotter perpétuellement une incertitude où se lisait la question qu’il n’osait pas poser : « Dites-vous cela pour de bon ? » Il n’était pas plus assuré de la façon dont il devait se comporter dans la rue, et même en général dans la vie, que dans un salon, et on le voyait opposer aux passants, aux voitures, aux événements un malicieux sourire qui ôtait d’avance à son attitude toute impropriété, puisqu’il prouvait, si elle n’était pas de mise, qu’il le savait bien et que s’il avait adopté celle-là, c’était par plaisanterie.
On ne sait jamais si les gens sont ironiques ou sérieux. Et le docteur Cottard a la solution face à cet épineux problème. À la fois clown et génie proustien, il a trouvé l'art et la manière uniques de traverser toutes les situations sociales. Tout repose sur les signes, et Cottard le sait, puisqu'il invente avec son sourire bizarre, une espèce de passe-partout visuel et social grâce auquel il peut interagir, et vivre. Le bon docteur s'est confectionné un masque nouveau, superficiel certes, idiot évidemment, mais qui possède aussi une grande part de génie clownesque.
Les phrases de Marcel Proust qui décrivent les traits stratégiques du docteur Cottard ont ceci de génial qu'elles ne permettent pas, mais alors pas du tout de voir à quoi peut ressembler le sourire de Cottard. On ne peut se figurer concrètement ce qu'il fait avec les différentes parties ou muscles de sa tête, pour se composer ainsi un visage à la fois riant et sérieux. Proust propose aussi avec Cottard un exercice d'imagination.
Néanmoins, la technique du docteur n’est pas sans faille. Quand Swann le rencontre pour la première fois, voici ce qu'il advient, je cite La Recherche : « en le voyant lui cligner de l’œil et lui sourire d’un air ambigu avant qu’ils se fussent encore parlé (mimique que Cottard appelait « laisser venir »), Swann crut que le docteur le connaissait sans doute pour s’être trouvé avec lui en quelque lieu de plaisir, bien que lui-même y allât pourtant fort peu. »
La machine du Docteur Cottard connait donc des ratés.
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