En 2038, la France disposera d’un nouveau porte-avions. Un porte-avions à propulsion nucléaire qui succèdera à l’actuel Charles De Gaulle. A quoi sert cet équipement militaire ?
- Jean-Dominique Merchet Journaliste à L'Opinion, spécialiste des questions militaires et stratégiques et auteur du blog "Secret Défense"
En 2038, la France disposera d’un nouveau porte-avions. Un porte-avions à propulsion nucléaire qui succèdera à l’actuel Charles De Gaulle. C’est ce qu’a annoncé Emmanuel Macron, mardi 8 décembre 2020. Pourquoi la France a-t-elle besoin de s’équiper de ce nouvel outil militaire ? A quelles missions sera dédié ce type d’appareil ? Quelle en est l’utilité ?
Guillaume Erner reçoit Jean-Dominique Merchet, journaliste à L’Opinion, spécialiste des questions de défense.
Un symbole
Jean-Dominique Merchet : "Avant d'être un engin militaire, c’est un symbole. C'est fondamentalement le symbole de la puissance d'un grand pays, d'un pays qui veut être grand. Il y a très peu de pays au monde qui ont ce genre d'équipement. Les Etats-Unis, la France, quelques autres, la Chine, la Russie, l'Inde. Mais c'est d'abord et avant tout un instrument de puissance entre les mains du président de la République."
C'est fondamentalement le symbole de la puissance d'un grand pays. Jean-Dominique Merchet
Le coût
Jean-Dominique Merchet : "C'est un symbole qui va coûter plusieurs milliards. On ne sait pas exactement le prix. Les officiels au ministère de la Défense sont très prudents là-dessus. D’après les études, c'est de l'ordre d'1 milliard. Mais ensuite, il faudra le construire. Ce sera sans doute au minimum autour de 5 milliards. Et puis, il y aura ce qu'on appelle le coût de possession, c'est-à-dire le fait de pouvoir le mettre en œuvre. Les spécialistes disent que c'est une affaire d'à peu près 10% du prix d'achat tous les ans. Donc, on parle en milliards, voire plusieurs dizaines de milliards sur la durée de vie d'un bateau comme ça, qui est d’une quarantaine d'années."
Le fonctionnement et l’intérêt de la propulsion nucléaire
Jean-Dominique Merchet : "La propulsion nucléaire, ce n'est pas nouveau puisque le Charles de Gaulle est déjà, lui, à propulsion nucléaire. Donc, on continue dans la même voie. Il y a eu des vraies discussions entre les spécialistes pour savoir s'il fallait le faire à propulsion nucléaire ou pas. Par exemple, les Britanniques ont décidé de faire leurs deux porte-avions sans propulsion nucléaire."
Toutes les générations d'ingénieurs, de techniciens, de scientifiques, de soudeurs qui travaillent sur ces technologies, si on ne les fait pas travailler régulièrement, on perd des compétences. Jean-Dominique Merchet
Jean-Dominique Merchet poursuit : "En réalité, ce qui a fait la différence, c'est l'idée que la France devait conserver des compétences en matière de développement des chaudières nucléaires, des petites centrales nucléaires qui sont à bord des bateaux, du porte-avions, mais surtout des sous-marins. On n'en fait pas tous les ans des gros engins comme ça, et donc toutes les générations d'ingénieurs, de techniciens, de scientifiques, de soudeurs qui travaillent sur ces technologies, si on ne les fait pas travailler régulièrement, on perd des compétences et là, on était dans un moment charnière où si on ne lançait pas un nouveau programme de chaudières nucléaires, on risquait simplement de perdre des compétences. Et les pertes de compétences, en réalité, on sait qu'on les rattrape très difficilement. Le chantier de Flamanville, dans le nucléaire civil, est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Quand on ne sait plus faire des choses, on voit les conséquences négatives que ça a (ex. avec la question des soudures de Flamanville)."
"Sur le porte-avions, il y a deux petites centrales nucléaires à bord du bateau (un gros bateau, 75 000 tonnes), qui fournissent toute l'énergie nécessaire non seulement à propulser le bateau, mais aussi à permettre aux 2 000 marins de l'équipage de vivre et à tous les systèmes de fonctionner. C’est une petite centrale nucléaire. Elle sert également à mettre en oeuvre les catapultes qui permettent de mettre les avions en l'air puisque d'abord et avant tout, un porte-avions, c'est une base aérienne."
"L'autonomie d'un porte-avions nucléaire est quasi totale dans la mesure où il faut changer le cœur nucléaire tous les dix ans. Tant qu'il n'est pas changé, il fonctionne en permanence. Il faut d’ailleurs maintenir en permanence des gens à bord, même quand il est au port."
"L'autonomie est grande, mais il y a quand même des contraintes de ravitaillement du bateau, non pas en carburant, mais en carbu-réacteur pour les avions et puis simplement pour la nourriture des marins. C’est ce qu'on appelle un ravitaillement à la mer : un gros bateau vient se coller au porte-avions et on transfère des choses du bateau vers le porte-avions. Tous les cinq ou sept jours à peu près, il y a besoin de ce ravitaillement à la mer. Mais si évidemment, le bateau était à propulsion classique comme un paquebot ou un cargo, là, ce serait beaucoup plus fréquent."
Un instrument de stratégie militaire et un instrument politique
Jean-Dominique Merchet : "L'avantage évident du porte-avions, c'est qu'il est sur la mer. Ça semble une évidence mais la mer appartient à tout le monde en termes de droit international. Cela veut dire qu'on peut aller où on veut sans demander l'autorisation à personne. C'est la différence avec une base aérienne. Par exemple, aujourd'hui, la France a une base aérienne en Jordanie pour faire des opérations au-dessus de l'Irak et de la Syrie, mais cela ne peut se faire qu'avec l'accord des autorités du pays. En revanche, si on envoie un porte-avions, on l’envoie là où on veut, tant qu'on n'est pas dans les eaux territoriales d'un pays, on déplace cette base. C'est effectivement d'un intérêt politique extrêmement grand. Ça donne une liberté de manœuvre aux États qui le possèdent. Evidemment, c'est un outil militaire puisqu'à bord, il y a des avions de combat. Il y a possiblement des armes nucléaires dans le cadre de la dissuasion nucléaire de la France. Et puis, on l'a vu à de nombreuses reprises depuis les années 2000 ou les années 90, le porte-avions, ça sert à faire des frappes depuis la mer vers la terre. On l'a vu en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Donc, effectivement, c'est un outil militaire et un outil militaire entre les mains du pouvoir quel qu'il soit."
Le porte-avions donne une liberté de manœuvre aux États qui le possèdent. Jean-Dominique Merchet
"La portée des avions aujourd'hui (leur capacité à aller très très loin) s'est considérablement développée. Aujourd'hui, l'armée de l'air, qui a des avions basés à terre et non pas sur le porte-avions, est capable de faire des frappes à très longue distance, d'aller depuis la France jusqu'au Mali. Les avions partent de la France, vont au Mali et font des frappes au Mali. Les avions partent de France, vont en Syrie et reviennent en France parce qu'il y a des ravitailleurs en vol, parce que les avions peuvent rester des heures et des heures et des heures, une dizaine d'heures, une douzaine d'heures, parfois, en vol. Donc, effectivement, il y a discussion entre militaires, notamment entre marins et aviateurs, sur l'opportunité d'avoir un porte-avions. Mais ce qui est tranché au final, c'est quand même le symbole. Parce que lorsqu’une crise se déclenche, le président décide d'envoyer le porte-avions. Ça se voit, il quitte Toulon. Il y a en général beaucoup de reportages télévisés parce que c'est très visuel. Depuis le film Top Gun, on sait bien qu’il y a une fascination pour les images de porte-avions. Donc c'est un instrument politique qui produit un effet militaire. Le même effet militaire pourrait sans doute être produit avec d'autres contraintes, mais au final, ce n'est pas l’effet militaire essentiellement, qui est recherché, c'est vraiment l'effet politique qui peut avoir effectivement des conséquences militaires. "
C'est un instrument politique qui produit un effet militaire. Jean-Dominique Merchet
Le Blog "Secret Défense" de Jean-Dominique Merchet
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