Attaques de Roms victimes de rumeurs : que nous enseigne l’histoire ?

Photo prise près d’un campement de Roms à Bobigny dans le nord de Paris, le 21 juillet 2015.
Photo prise près d’un campement de Roms à Bobigny dans le nord de Paris, le 21 juillet 2015. ©AFP - MARTIN BUREAU
Photo prise près d’un campement de Roms à Bobigny dans le nord de Paris, le 21 juillet 2015. ©AFP - MARTIN BUREAU
Photo prise près d’un campement de Roms à Bobigny dans le nord de Paris, le 21 juillet 2015. ©AFP - MARTIN BUREAU
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À Bobigny, Clichy-sous-Bois, Villiers-le-Bel, ou encore Colombes, agressions violentes et expéditions punitives se sont multipliées à l’encontre de Roms ces derniers jours.

Avec
  • Claire Soussen professeure en histoire du Moyen-Âge à l’université du Littoral Côte d’Opale à Boulogne-Sur-Mer, spécialiste des relations entre Juifs et Chrétiens au Moyen-Age.

Ceux-ci sont suspectés, sur les réseaux sociaux, de kidnapper des enfants, ce que la préfecture de police de Paris a formellement démenti en demandant de "ne plus relayer cette fausse information". Des Roms pris pour cibles, victimes de folles rumeurs, accusés d’enlever des enfants. Pour Claire Soussen, professeure en histoire du Moyen Âge, l’histoire n’est pas nouvelle.

Comment sont nées dans l’histoire ces accusations toujours fausses d’enlèvement d’enfants ?

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On peut retracer l’origine de ces accusations en les faisant remonter à l’Antiquité, où l’on voit Socrate le scolastique, l’auteur d’une Histoire Ecclésiastique, raconter au début du Ve siècle que des Juifs ivres auraient accidentellement tué un enfant chrétien qu’ils auraient enlevé en le pendant lors de la fête carnavalesque de Pourim. Selon une autre version, ils l’auraient attaché et flagellé à mort. C’est la première fois que l’on trouve cette calomnie. On en a quelques occurrences pendant l’Antiquité mais assez peu et elle resurgit de façon bien plus importante au Moyen Âge.

De quelle manière ?

Toujours sous la forme d’une rumeur, ce qui permet de mettre l’accent sur la permanence de la rumeur et ses effets néfastes au cours de l’histoire. Elle colporte toujours ce récit absolument effrayant selon lequel un enfant aurait été découvert assassiné, toujours selon les mêmes modalités qui constituent une grammaire qui se répète au fil du temps .

Il n’y a pas à l’époque de réseaux sociaux et cependant ces rumeurs se répandent, se diffusent en Europe. Des stéréotypes se propagent, quels sont-ils ?

Ces événements auraient lieu au moment des fêtes de Pâques par exemple. Ces stéréotypes s’appuient sur la légende selon laquelle les Juifs auraient une appétence pour le sang, et surtout un besoin du sang d’un chrétien dont ils se servent pour fabriquer le pain azyme au moment des fêtes de Pâques. Il n’y a pas de réseaux sociaux, mais en revanche il y a des diffuseurs de rumeurs : on en connaît un notamment au XVe siècle en Espagne qui s’appelle Alphonso de Spina, un théologien qui écrit un ouvrage intitulé La Forteresse de la foi dans lequel il rédige un catalogue de tous les crimes rituels qui sont censés s’être produits depuis le XIIe siècle. Il est extrêmement lu et diffusé.

Des voix à l’époque s’élèvent-elles pour dénoncer ces calomnies ?

Oui et la première d’entre elles est la voix du Pape, qui régulièrement s’érige en faux contre cette accusation parce que ce n’est pas seulement une rumeur qui reste sans effets. Elle a souvent pour conséquences des massacres. On s’en prend aux Juifs accusés d’avoir tué ces enfants. La populace se livre à un déchaînement de violences. Le Pape s’élève en faux après coup. Mais néanmoins on a trace de ces dénégations pontificales par le biais de ce qu’on appelle des bulles de "Sicut Judaeis", des bulles de protection des Juifs.

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On va retrouver ces accusations d’enlèvement d’enfants au XIXe contre des Roms, des Tziganes et c’est quelque chose qui va perdurer. Pour quelles raisons ?

C’est un phénomène qui est proprement effrayant en vertu de l’imaginaire que l’on porte aux enfants, ces créatures sensibles, fragiles, victimes idéales de la violence aveugle. C’est un moment récurrent que l’on rencontre et que l’on peut associer à des moments de crise qui font que l’on a besoin de trouver un exutoire. 

Qu’entendez-vous par "crise" ?

Des moments de dérèglement du cours normal des choses qui font que pour faire baisser la tension, on a besoin d’un dérivatif qui évacue la violence interne à la société pour la déporter vers l’extérieur, vers ce qui apparaît comme l’étranger, le marginal, le minoritaire. René Girard l’a bien expliqué dans deux ouvrages majeurs qui sont Le Bouc émissaire, paru en 1982 et La violence et le sacré, paru en 1972.

Les stéréotypes anti-Roms sont aussi diffusés par des auteurs comme Victor Hugo qui, en prêtant foi à ces rumeurs, les a alimentées.

Peut-être parce que Victor Hugo, même si je suis la première à adorer sa littérature, est d’une certaine manière aussi un folkloriste et donc il reprend des traditions, des légendes finalement. Il ne se veut pas historien.

En tant qu’historienne, comment interprétez-vous ces récents événements ?

Nous connaissons parfois des moments de tension, de crise pendant lesquels nous sommes peut-être moins en prise avec les événements, moins en mesure de les contrôler et du coup, cela fait resurgir la tendance que l’on a peut-être à chercher des explications invraisemblables à des situations incompréhensibles.

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