

Plutôt que de contraindre une grande partie de la population à rester chez elle afin de protéger les personnes les plus vulnérables du coronavirus, pourrait-on envisager de confiner seulement celles et ceux qui sont le plus en danger ?
- Jean-Philippe Derosier professeur de droit public à l'université Lille 2
Outre les risques d’isolement de personnes âgées et de malades chroniques, ce type de mesure pourrait rapidement se heurter au droit, et notamment à la Constitution. Autorise-t-elle à confiner une partie de la population ?
Avec Jean-Philippe Derosier, Constitutionnaliste, professeur de droit public à l’université de Lille.
Guillaume Erner : "Quelles mesures distinctives ou discriminatoires envisage-t-on face à la multiplication des cas de Covid ? Est-ce qu'il est possible de considérer qu'une population plus à risque doit rester chez elle ?"
Jean-Philippe Derosier : "Actuellement il y a une forme de discrimination dans les mesures appliquées pour lutter contre le Covid, puisqu'il n'y a que certains territoires qui sont concernés par les mesures de couvre-feu. Le critère géographique est à peu près le seul que l'on peut utiliser pour discriminer. Faire une discrimination en fonction de l'âge me paraît assez difficile. Il y a un principe constitutionnel qui est bien ancré dans notre droit, qui est le principe d'égalité. Ce principe dit clairement qu'il ne s'oppose pas à un traitement différent de personnes placées dans des situations différentes. Mais on pourrait envisager effectivement que les personnes âgées ne sont pas dans la même situation que les personnes moins âgées face au virus puisqu'on a pu constater que ce sont les personnes âgées qui risquent le plus de pâtir de ce virus. Seulement, lorsque l'on prend une telle mesure discriminatoire, il faut que son objectif, sa raison d'être, soit en lien avec l'objectif que l'on poursuit. Or l'objectif du confinement n'est pas tant d'éviter que les personnes âgées ou moins jeunes pâtissent du virus ne tombent malades, mais d'éviter la circulation du virus.
Pour le coup, il n'est pas démontré, me semble t il, que les personnes âgées transmettent davantage le virus que les personnes moins âgées. Donc, au regard de cet objectif précis du confinement, pour éviter une circulation active du virus, le critère de l'âge n'est pas déterminant. Les personnes âgées ne vont pas contaminer davantage les uns et les autres que les personnes plus jeunes ou les personnes de la vie active. C'est pour cela que ça me paraît assez difficile de s'appuyer sur l'âge pour imposer et imposer un confinement peut l'encourager en disant les personnes d'un certain âge risquent davantage d'être de pâtir du virus. Donc il faudrait qu'elles restent chez elles. Il faut aller les encourager, mais leur imposer par le droit, par une mesure du premier ministre, un décret de rester confinés chez elles, cela me paraît assez difficile."
Guillaume Erner : "On se dit aussi qu'il y a une forme de logique sanitaire. Il y a des gens qui sont à risque, alors les personnes âgées et celles qui ont des facteurs de comorbidité. Il serait aussi plus logique de le confiner puisque, semble t il, l'équation à résoudre, c'est le non engorgement de l'hôpital. Dans ces conditions, il serait quand même logique de dire que les personnes qui sont les plus à risque feraient bien de rester chez elles ?"
Jean-Philippe Derosier : "Oui, j'entends bien, mais encore une fois, l'objectif, c'est d'éviter que le virus ne circule. Certes, il y a des personnes à risque, mais on ne peut pas leur interdire si elles ont envie de tomber malade. SI elles considèrent qu'elles doivent se protéger alors elles peuvent rester chez elles. Elles peuvent se protéger en évitant le contact avec le reste de la population. Elles peuvent dire à leur entourage, à leur famille ou à leurs amis 'Non, ne venez pas me voir parce que je veux me protéger". Mais leur imposer de rester confinés dans leur appartement, dans leur maison, au prétexte que elles vont tomber malade et ensuite elles vont engorger l'hôpital ne me parait pas un argument pertinent parce que d'autres personnes moins âgées peuvent également contaminer la population et donc déboucher sur un engorgement de l'hôpital. Et sans compter qu'effectivement, ce critère de l'âge est un critère statistique. Mais cette maladie évolue beaucoup quotidiennement et la connaissance que l'on a de cette maladie évolue également quotidiennement. Et l'on se rend compte d'ailleurs que dans certains pays, ce sont désormais les moins âgés et les plus jeunes qui peuvent être davantage touchés, alors peut être avec moins de conséquences, mais que les jeunes, ceux qui ont 20 ou 30 ans contaminent désormais bien davantage la maladie et peuvent eux aussi finir à l'hôpital dans des proportions moins importants, mais sont également concernés. Donc, on voit bien que la statistique, la seule statistique, ne permet pas d'être suffisamment fiable pour justifier une mesure si discriminatoire."
Guillaume Erner : "Il y a une mesure qui me paraît extrêmement discriminatoire et très choquante en matière de santé, c'est par exemple la restriction du don de sang des homosexuels, donc a été prescrite dans le cadre de l'épidémie de sida. C'est très choquant comme mesure et à ma connaissance, elle a été modifiée, mais pas complètement abrogée ?"
Jean-Philippe Derosier : "Absolument. Je partage votre point de vue. C'est une mesure qui est très choquante. Je pense qu'il faudrait sans doute évoluer dans cette mesure. Ça a déjà été le cas effectivement cet été. Pas plus tard que cet été, il y a eu une évolution : uréduction du temps pendant lequel les personnes homosexuelles ne devaient pas avoir de rapports non protégés autrefois était de douze mois, douze mois. Désormais, il était réduit à quatre mois. Mais c'est une discrimination parce que les personnes hétérosexuelles, pour elles ce n'est qu'un mois. Et comme vous l'avez rappelé, c'est une mesure qui a été prise à l'époque de l'épidémie de sida. A l'époque où l'on pensait que le virus se transmettait plus facilement, peut être même seulement entre personnes homosexuelles. Ce qui a justifié cette mesure qui ensuite, au gré des connaissances de la maladie, on s'est rendu compte que ce critère n'était pas déterminant. Raison pour laquelle, comme vous, je trouve que cette mesure est choquante et que il faudrait effectivement faire la faire évoluer."
Guillaume Erner : "Evidemment, Jean-Philippe Derosier, on ne peut pas se prévaloir de cette turpitude là et cette discrimination ne peut pas en entraîner une autre. Mais on pourrait imaginer qu'il y ait pour le coronavirus une exception par rapport à la règle d'égalité, au vu, encore une fois, des risques différents que court les différentes parties de la population ?"
Jean-Philippe Derosier : "On peut tout envisager. Je crois que le gouvernement essaye d'envisager à peu près tous les scénarios. Mais il y a à la fois, bien sûr, un impact politique et l'impact juridique d'un certain nombre de mesures qui ont pu être prises dans le cadre de l'état d'urgence, qui ont été ensuite transmises au juge administratif, qu'il s'agisse du tribunal administratif ou du Conseil d'Etat. Et pour certaines d'entre elles, elles ont été validées. Pour d'autres, précisément, elles ont été annulées, et déclarées illégales. Si le gouvernement devait s'aventurer sur ce terrain, de discriminer ainsi une mesure sur le critère de l'âge, il pourrait y avoir un recours. Il y en aura vraisemblablement et au final, ce sera le juge administratif qui appréciera. Je maintiens mes réserves, mais on a remarqué aussi que depuis quelques mois, la jurisprudence, qu'elle soit administrative ou constitutionnelle, s'adaptaient aussi aux circonstances et pouvait faire preuve d'une certaine souplesse. Parce que, justement, à situation exceptionnelle des mesures exceptionnelles pouvaient se justifier."
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