Crise du covid : qui écoute le pape François ?

Photo du pape François prise le 20 octobre 2020 à Rome.
Photo du pape François prise le 20 octobre 2020 à Rome. ©AFP - ANDREAS SOLARO
Photo du pape François prise le 20 octobre 2020 à Rome. ©AFP - ANDREAS SOLARO
Photo du pape François prise le 20 octobre 2020 à Rome. ©AFP - ANDREAS SOLARO
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« Un temps pour changer ». C’est le titre du nouveau livre du pape François, qui paraît mercredi 2 décembre 2020, en France, aux éditions Flammarion. Un livre dans lequel il développe une réflexion politique. Quel rôle politique joue-t-il ?

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« Un temps pour changer ». C’est le titre du nouveau livre du pape François, qui paraît mercredi 2 décembre 2020, en France, aux éditions Flammarion. Etats-Unis, Espagne, Allemagne, Italie... 222 pages publiées à travers le monde, dans lesquelles le souverain pontife livre son regard sur la crise du covid. Populisme, immigration, climat, politiques publiques, mondialisation, persécution des Rohingyas, revenu universel… il développe une réflexion politique, sa réflexion politique. Sort-il de son rôle ? 

Guillaume Erner reçoit Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au quotidien La Croix, ancienne correspondante au Vatican, auteure notamment de « Les cathos n’ont pas dit leur dernier mot », ed. Bayard.

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Ses engagements

Isabelle de Gaulmyn : "Ce livre est marquant d'abord par le moment où il le publie puisqu’il le publie en pleine crise sanitaire, en pleine crise du covid, qui a quand même concerné le monde entier. C'est une parole forte sur ce temps-là. Et puis, c'est vrai qu'il est peut-être plus que d'autres (livres), dans les détails de ce dont le pape rêve. C'est un mot que le pape emploie souvent : « il faut rêver ». Les détails de ce dont il rêve comme nouveau système économique et politique. Notamment sur l'économie, il y va très fort, c'est une grosse critique du capitalisme. Il dit que la théorie du ruissellement, c'est une infamie. Il propose de mettre en place un revenu universel pour tous les gens. Il va quand même assez loin, notamment sur l'aspect économique, par rapport à d'autres livres qu'il a pu faire."

Le pape dit que la théorie du ruissellement, c'est une infamie. Il propose de mettre en place un revenu universel pour tous les gens. Isabelle de Gaulmyn

Isabelle de Gaulmyn poursuit :"Au niveau économique, ce pape est marqué par son histoire personnelle, l'histoire de l'Argentine, du Tiers-Monde, de l'Amérique du Sud, de la théologie de la libération. Au plan économique, il va loin. Ça fait quand même longtemps qu'il dit ce genre de choses, mais là, il le dit de manière effectivement plus ferme... Sur l'aspect des questions comme l'avortement, il reste fortement opposé à l'avortement. Mais c'est sûr que, économiquement, on dirait en France qu'il est classé à gauche. C’est un pape qui ose prendre la parole pour discuter des problèmes du monde." 

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A qui s’adresse-t-il ?

Il cherche à s’adresser à un plus grand nombre_._ Isabelle de Gaulmyn rappelle que : "normalement, le pape parle aux catholiques par des canaux très précis, des encycliques, des exhortations apostoliques, des motu proprio. Ce pape-là, plus que les autres, essaie d'aller au-delà des catholiques et de leur parler à travers des interviews, à travers des films et à travers des livres. Il y a sans doute deux choses : il pense aujourd'hui que le pape doit parler à l'ensemble des citoyens du monde, finalement, et pas simplement aux catholiques pratiquants. Et puis, sans doute aussi parce qu'il y a quand même une forte opposition hiérarchique dans l'Eglise à ce pape là et pour lui, c'est un moyen de la contourner."

Il y a quand même une forte opposition hiérarchique dans l'Eglise à ce pape là et pour lui, cette communication est un moyen de la contourner. Isabelle de Gaulmyn

Face à la Chine

Il est beaucoup moins sévère pour critiquer le régime chinois que pour critiquer le capitalisme mondial. Isabelle de Gaulmyn

Isabelle de Gaulmyn : "Dans ce livre, il parle des Rohingyas, des Ouïghours - il a des paroles très fortes sur ces sujets. C'est important parce que c'est la première fois qu’il parle des Ouïghours. Il le dit à peine parce qu'il sait que ses relations avec la Chine sont compliquées. Elles le sont parce que le pape est dans un processus assez long de normalisation des relations avec la Chine, de façon à ce que l'Église catholique chinoise puisse être libre, puisse avoir la possibilité de désigner ses propres évêques, etc. Et du coup, c'est très compliqué parce qu’il faut préserver le pouvoir, il est dans un jeu de petits pas diplomatiques assez complexe. Sur la Chine, c'est quand même un pays envers lequel il montre beaucoup de pragmatisme. Il est beaucoup moins sévère pour critiquer le régime chinois quelque part que pour critiquer le capitalisme mondial. " 

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Le climat

Isabelle de Gaulmyn :"On est sur quelque chose qui était déjà dans une encyclique. On est plus sur la parole magistérielle. Il a utilisé une encyclique. Donc là, c'est vraiment quelque chose où il veut que l'ensemble de l'Église, l'ensemble de la hiérarchie cléricale et l'ensemble des catholiques s'engagent. Et de fait, il y est quand même pas mal arrivé parce que c'est vraiment un mouvement sur lequel maintenant, tous les catholiques, toutes les communautés catholiques dans le monde se mettent. Il y va plus fort parce qu'il dit que l'écologie, c'est bien beau, mais l'écologie, il faut aussi qu'elle soit sociale. On ne peut pas être écologique si on n'est pas non plus social, parce que c'est d'abord les dérèglements climatiques qui concernent surtout les pays les plus pauvres. Pour lui, de toutes façons, l'écologie, ça veut dire aussi complètement réformer le système et le système économique. C’est vraiment un pape qui voudrait que l'on prenne au sérieux cette volonté de réformer le système économique et social et qu'on y aille."

Pour le pape, on ne peut pas être écologique si on n'est pas non plus social. Isabelle de Gaulmyn

Le risque de se couper d’une partie des Catholiques ? 

Isabelle de Gaulmyn : "Il a déjà pris le risque, parce qu'il s'est même beaucoup coupé de toute une frange, de la frange la plus conservatrice, notamment américaine, de l'Église catholique. Ce qui est compliqué, c'est que normalement un pape est fait pour maintenir l'unité de l'Église : 1,2 milliard de personnes, ce n’est pas rien. On voit que ce pape, plus que maintenir une unité de l'Église, il a plus une vision prophétique. Il dit : « il faut qu'on rêve, il faut qu'on aille vers là, il faut qu'on remette en question les choses, il faut penser aux plus pauvres, aux exclus, etc. » Ce qui est aussi d'ailleurs une figure évangélique. Mais est-ce qu'un pape peut être prophète ? C'est tout le problème du pape François, parce que, en étant prophète, il clive, il gène, il dérange et bouscule. Du coup, il met quand même un peu à mal l'unité de cette Eglise qui est très compliquée à maintenir. Ceci dit, ce qu'il dit sur l'économie, sur la justice, sur la pauvreté, c'est quand même tout simplement l'Évangile."

Est-ce qu'un pape peut être prophète ? C'est tout le problème du pape François, parce que, en étant prophète, il clive, il gène, il dérange et bouscule. Isabelle de Gaulmyn

Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.