

Vendredi 3 janvier 2019, la frappe américaine en Irak qui a tué le général iranien Qassem Soleimani a fait monter d’un cran encore les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. Dans cette escalade, Donald Trump vise-t-il un objectif précis ?
- Bruno Tertrais Politologue
Vendredi 3 janvier 2019, la frappe américaine en Irak qui a tué le général iranien Qassem Soleimani a fait monter d’un cran encore les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis. L’Iran a promis de venger la mort du général Soleimani. Mais les deux camps ont-ils intérêt à se lancer dans une escalade plus violente encore ? Pourquoi Donald Trump a-t-il décidé de lancer cette frappe contre ce puissant général iranien, homme clef dans la construction de l’influence de Téhéran au Moyen-Orient ? Quel objectif visent les Etats-Unis ?
Guillaume Erner reçoit Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique, spécialiste de géopolitique et de relations internationales, auteur notamment de « La Revanche de l’Histoire » ed. Odile Jacob.
Vers un conflit ouvert ?
On est dans une situation d'attente parce que d'un côté, on a des acteurs, deux grands acteurs - les Etats-Unis, l'Iran - qui ne veulent pas d'un conflit ouvert, qui ne veulent pas d'une grande guerre. Et en même temps, vous avez l'Iran qui évidemment va riposter, et Trump qui menace lui-même puisqu'il a quand même eu quelques tweets tout à fait dévastateurs. Bruno Tertrais.
Pourquoi Trump a-t-il dit vouloir viser précisément 52 sites ?
D'abord, le 52 fait référence, bien sûr, aux otages américains à Téhéran en 1979. C'est dire à quel point la mémoire de cette prise d'otages, qui a été le véritable premier acte, le second acte de la révolution iranienne, pèse dans la mémoire américaine. Et c'est d'ailleurs aussi pour cela que, je crois, Trump a pris sa décision jeudi dernier d’éliminer Soleimani : l'attaque contre l'ambassade américaine à Bagdad. Bruno Tertrais.
La dynamique de l'escalade commence. Sur ces 52 sites, je ne sais pas ce que sont ces sites, mais Trump a été extraordinairement brutal en parlant de sites qui ont une importance culturelle. S'il y a bien une chose qu'on ne fait pas dans le droit des conflits armés, c'est bien sûr pas les sites civils, mais pas non plus les sites culturels. Et ça, c'est extrêmement problématique. Bruno Tertrais.
L’Amérique face à la guerre ?
On n'est pas en 2003, avec une Amérique totalement obsédée par la guerre, qui veut absolument faire rendre gorge à Saddam Hussein. On n'est pas du tout avec l'équivalent en Iran. Aujourd'hui, Trump ne veut pas la guerre. Bruno Tertrais.
Il est satisfait de ce qu'il a fait. Il n'a pas du tout envie de se lancer dans une escalade militaire plus importante alors que débute la campagne électorale. Ceux qui disent qu'il veut chercher à éloigner et détourner l'attention de la procédure d'impeachment, à mon avis, ont tort. Ce n'est pas le sujet. Bruno Tertrais.
Ce que Trump peut dire aujourd'hui dans la campagne (électorale pour la présidentielle américaine de 2020), c'est : « j'ai éliminé deux des grands ennemis des Etats-Unis, Abou Bakr al-Baghdadi pour l'Etat Islamique et Qassem Soleimani pour l'Iran ». Bruno Tertrais.
Le symbole compte. Dans un clip de campagne électorale, ce que vous voulez montrer, ce sont des symboles. Il peut dire aujourd'hui, j'ai fait mieux qu'Obama. J'en ai éliminé deux et ils étaient actifs. Donc, ça peut s'arrêter là pour Trump. Mais le problème, c'est que, bien sûr, l'escalade de la guerre, elle se produit pas simplement sur les décisions d'un seul acteur. Il y a bien sûr les Iraniens qui vont évidemment riposter. Bruno Tertrais.
Est-on face à une menace nucléaire ?
Non, pas vraiment.... Les Iraniens avaient averti qu'ils sortiraient progressivement des contraintes qui leur étaient imposées par l'accord de 2015 qui a été déchiré par Trump. Mais simplement, ça tombe très mal parce ce que ça donne le sentiment que, une fois de plus, le nucléaire se mêle de ce vieil affrontement irano-américain. Et donc, ça va donner du grain à moudre supplémentaire à ceux qui, à la Maison-Blanche, au Pentagone ou ailleurs, veulent régler son compte à l'Iran. Les Iraniens ne sortent pas de cet accord nucléaire, mais ils franchissent une nouvelle étape dans la libération des contraintes de cet accord. Et donc cette coïncidence malheureuse - parce que ce calendrier était encore une fois prévu - va donner du grain à moudre à ceux qui veulent régler son compte à l'Iran, à Washington. Et du coup, la dynamique d'escalade s'en trouve encore renforcée. Bruno Tertrais.
Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page ou consulter la vidéo ci-dessous.
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