Essais nucléaires en Polynésie : la France a-t-elle dissimulé les niveaux de radioactivité ?

Photo d'essai nucléaire à Mururoa. Collection Hulton Archive / Date de création : 1er janvier 1971
Photo d'essai nucléaire à Mururoa. Collection Hulton Archive / Date de création : 1er janvier 1971 ©Getty -  Galerie Bilderwelt
Photo d'essai nucléaire à Mururoa. Collection Hulton Archive / Date de création : 1er janvier 1971 ©Getty - Galerie Bilderwelt
Photo d'essai nucléaire à Mururoa. Collection Hulton Archive / Date de création : 1er janvier 1971 ©Getty - Galerie Bilderwelt
Publicité

A quel niveau de contamination radioactive ont été exposées les populations polynésiennes lors des essais nucléaires menés par la France entre 1966 et 1996 ? Une enquête, menée par le média d'investigation Disclose, apporte de nouveaux éléments, à partir d'archives déclassifiées en 2013.

Avec
  • Tomas Statius journaliste, co-auteur avec Sébastien Philippe de « Toxique. Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie », co-édition PUF/Disclose.

A quel niveau de contamination radioactive ont été exposées les populations polynésiennes lors des essais nucléaires menés par la France entre 1966 et 1996 ? Près de 2 000 documents déclassifiés par l’armée française en 2013 ont été analysés par une équipe de chercheurs et journalistes, emmenée par le média d’investigation en ligne Disclose. Pour eux, les impacts de la contamination radioactive sur les populations ont été bien supérieurs à ceux estimés dans les versions officielles. La France les a-t-elle sciemment sous-évalués ? 

Guillaume Erner reçoit Tomas Statius, journaliste pour Disclose, co-auteur avec Sébastien Philippe de « Toxique. Enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie », co-édition PUF/Disclose.

Publicité

Vous avez travaillé sur ces documents de l'armée française déclassifiés. Comment avez vous procédé ? Et quelles sont vos conclusions ?

On a commencé par les lire, ces 183 documents et 2000 pages d'archives qui ont été déclassifiés en 2013 par la France. Pendant plusieurs mois on les a lus, on a extrait les informations qui nous paraissaient intéressantes, les histoires que l'on pourrait raconter. 

Et ensuite, Sébastien Philippe, qui est chercheur à l'Université de Princeton et qui est le co-auteur du livre qu'on publie aujourd'hui, a commencé à recalculer les estimations de doses que les populations civiles ont reçues au cours de ces essais, plus particulièrement pendant la période 1966-1974.

Sur cette période, il y a eu des essais atmosphériques, des explosions à l'air libre, qui sont les essais les plus contaminants. Et ensuite, on s'est mis en tête d'essayer de rencontrer des témoins, des gens qui ont vécu cette période, que ce soit des militaires ou des populations civiles, pour raconter cette histoire. 

Les documents étaient mensongers ou bien  les calculs n'avaient pas été faits ?

L’armée française et l’Etat ré-estime à intervalles réguliers les doses que les populations ont reçues. En 2006, le Commissariat à l'énergie atomique a proposé une nouvelle estimation plus à l'ordre du jour, plus à l'ordre des calculs actuels et des méthodologies utilisées aujourd'hui. Avec ces mêmes données, on a fait du fact-checking de ces calculs. On y a repéré des erreurs, des choses qui nous paraissaient pas forcément justes et c'est à partir de là qu'on a mené ce travail. 

Ce travail vous permet de dire que les doses ont été largement sous estimées. Quelles sont les conséquences ?

_E_n conséquence, on souhaite une exigence de transparence de la part de l'État français. L'idée, c'est  de dire aux gens à quel niveau de contamination ils ont pu être exposés pendant toutes ces années là. 

Pour certaines des îles, ça change quelque chose en termes de santé publique, mais ça ne change pas forcément le registre d'indemnisation.  Aujourd'hui, certaines des victimes, si elles justifient d'une exposition suffisante, peuvent demander réparation auprès de l'État, si jamais ils contractent une des maladies qui est indemnisées par la France.

En revanche, pour un essai en particulier qui est l'essai Centaure du 17 juillet 1974, nos calculs permettent d'ouvrir à 110.000 personnes la possibilité de demander une indemnisation et une compensation de l'État, si jamais elles contractent l'une de ces maladies. 

Qu'est ce que cet essai centaure avait comme spécificité ?

C'était son statut. Il avait comme spécificité d'être assez secret. C'est un essai qui s'est passé de manière complètement secrète et couverte par les autorités françaises. Il se déroule le 17 juillet 1974 et ce jour là, ce qui se passe, c'est que le nuage atomique n'a pas l'altitude suffisante et s'arrête beaucoup plus bas, à 200 mètres. À cette altitude, les vents poussent le nuage dans la mauvaise direction, celle que les militaires français n'avaient pas envisagée, à savoir la direction de Tahiti. Dans cette enquête de Disclosure, on a travaillé une ONG britannique qui bosse avec ces technologies de modélisation et de la reconstruction. 

Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.