Qui pour succéder à Ruth Bader Ginsburg, décédée vendredi 18 septembre 2020 à l'âge de 87 ans ? Ruth Bader Ginsburg, c’est cette femme qui était juge à la Cour suprême des EU depuis 1993. Pourquoi le choix de celui ou celle qui lui succèdera est-il fondamental pour la vie politique américaine ?
- François Vergniolle de Chantal Professeur de civilisation américaine à l’université de Paris. Membre du laboratoire de recherche LARCA (Laboratoire de Recherche sur les Cultures Anglophones).
Une question taraude les Etats-Unis : qui pour succéder à Ruth Bader Ginsburg, décédée vendredi 18 septembre 2020 à l'âge de 87 ans ?
Ruth Bader Ginsburg, c’est cette femme qui était juge à la Cour suprême depuis 1993. Sa disparition laisse le pays face un enjeu hautement politique en pleine campagne présidentielle. L'élection du futur président des Etats-Unis aura lieu le 3 novembre 2020. Quels sont les pouvoirs d’un juge de la Cour suprême aux Etats-Unis ? Pourquoi cette nomination est-elle fondamentale dans la vie politique américaine ?
Guillaume Erner reçoit François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine à l’Université de Paris, auteur notamment de « L'impossible présidence impériale : le contrôle législatif aux Etats-Unis », ed. CNRS. Membre du comité de rédaction de la revue « Politique américaine ».
Les pouvoirs d'un juge de la Cour suprême aux Etats-Unis
"La première chose à expliquer, c'est l'importance et la visibilité de la Cour suprême, en partant des juges qui la composent. La Cour n'est pas une simple cour de justice. Elle est le sommet du pouvoir judiciaire. Si on devait reprendre une comparaison avec la France, la Cour suprême américaine cumule les pouvoirs de nos magistratures suprêmes, c'est-à-dire le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, les trois ensembles."
Les enjeux politiques de la nomination d'un juge
Cette Cour suprême comprend neuf juges, dont un président. "La Constitution nous explique que les juges de la Cour suprême sont nommés par le président (des Etats-Unis), c'est-à-dire désignés par le président. Ensuite, il revient au Sénat de confirmer le choix présidentiel. C'est une procédure qui est extrêmement politisée dans la mesure où, depuis des décennies, les présidents américains utilisent ce pouvoir pour renforcer leur leg et pour faire en sorte que l'interprétation de la loi soit favorable aux décisions qui sont prises pendant leur mandat."
Le processus de nomination à la Cour suprême a été presque dès le départ politisé. Il a été idéologisé aussi très rapidement et c'est un fonctionnement qui a été utilisé à la fois par les présidents de gauche et par les présidents de droite. François Vergniolle de Chantal
"Dès les années 30, Franklin Roosevelt a essayé de transformer la Cour suprême. Ça a été un petit peu difficile, mais finalement, il y est arrivé. Et la Cour suprême qu’il a mise en place est une Cour suprême progressiste, engagée à gauche, qui, deux décennies plus tard, va être la Cour suprême qui va contribuer à l'émancipation des populations noires."
"Le phénomène a été identique à droite. A partir des années 80, un des enjeux de la présidence Reagan a été de politiser justement les cours fédérales et je dis bien les cours fédérales : par rapport à Roosevelt, la tactique initiée par Reagan a été beaucoup plus ambitieuse. Il ne s'est pas contenté d'influencer la Cour suprême, mais il a tenté de modeler l'ensemble des cours fédérales. "
Donald Trump a annoncé que la nomination du ou de la remplaçant(e) de Ruth Bader Ginsburg, interviendrait vendredi 25 septembre 2020 ou samedi 26 septembre 2020 (une semaine donc après le décès de Ruth Bader Ginsburg).
"La Constitution ne dit absolument rien sur les délais (de remplacement d’un juge). Les délais sont gérés par le président et essentiellement par le président du Sénat, par le chef de la majorité au Sénat. On est dans un système de séparation du pouvoir. La confirmation des juges à la Cour suprême est un des pouvoirs constitutionnels du Sénat, donc c'est le Sénat qui gère la nomination présidentielle."
Il faut que les membres du Sénat avalisent cette désignation. "Il y a une majorité de 53 sénateurs républicains. Donc, c'est une majorité qui est extrêmement limitée sur 100 sénateurs. Certains sénateurs parmi les plus modérés (2 jusqu'à présent) ont déclaré qu'ils n'étaient pas favorables à une confirmation (de nomination) avant l'élection. Je pense qu'on va en rester là parce que les républicains sont très unis derrière le président Trump. Un des enjeux essentiels pour eux, depuis le début de la présidence Trump, est précisément la nomination de juges conservateurs. Le président Trump a déjà nommé plus de 200 juges conservateurs dans les cours fédérales. Il n'y a aucune raison pour qu'il s'arrête maintenant en si bon chemin. Pour les conservateurs, c'est une opportunité unique. Je crois que vraiment, il faut quand même souligner que ce Mr Trump a « beaucoup de chance ». C'est une opportunité unique qu'ils ne vont certainement pas gâcher."
Le rôle de la Cour suprême dans la prochaine élection présidentielle - peut-elle départager des candidats ?
"C'est un scénario qui est redouté par les démocrates puisque effectivement, au vu de la situation actuelle, tout le monde pense au précédent de l'élection de 2000. L'élection de 2000, où la Cour suprême est intervenue pour désigner le vainqueur et faire en sorte que George W Bush soit finalement désigné vainqueur. Techniquement, la Cour suprême ne serait pourtant pas directement amenée à se prononcer puisque tout ce qui est du ressort du droit électoral est local, donc les acteurs privilégiés, seraient les cours suprêmes d'États."
Mais d'un point de vue politique, il est très vraisemblable qu'une administration en difficulté après une élection serrée se tournerait vers la Cour suprême. Exactement comme a pu le faire la campagne de Bush en 2000. François Vergniolle de Chantal
"Techniquement, c'est très audacieux et cela a été, en 2000, très, très critiqué dans les milieux juridiques. Mais politiquement, c'est vraisemblable. "
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