Le couvre-feu face à la pandémie : que nous enseigne l’expérience en Guyane ?

Photo d’un employé de restaurant fermant sa terrasse quelques minutes avant le début du couvre-feu mis en place à Lyon le samedi 17 octobre 2020.
Photo d’un employé de restaurant fermant sa terrasse quelques minutes avant le début du couvre-feu mis en place à Lyon le samedi 17 octobre 2020. ©AFP - JEFF PACHOUD
Photo d’un employé de restaurant fermant sa terrasse quelques minutes avant le début du couvre-feu mis en place à Lyon le samedi 17 octobre 2020. ©AFP - JEFF PACHOUD
Photo d’un employé de restaurant fermant sa terrasse quelques minutes avant le début du couvre-feu mis en place à Lyon le samedi 17 octobre 2020. ©AFP - JEFF PACHOUD
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Pourquoi et comment le couvre feu peut-il avoir un impact sur le nombre de contaminations ? Après la mise en place d'un couvre-feu de 21h à 6h du matin en Ile-de-France et dans huit métropoles ; l'efficacité ou non de cette mesure interroge. L'expérience menée en Guyane peut-elle nous éclairer ?

Avec
  • Pascal Crépey enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique à Rennes.

Dans quelle mesure le couvre-feu peut-il avoir une incidence sur la propagation de l’épidémie ? Tandis que depuis samedi 17 octobre 2020 un couvre feu de 21h à 6h du matin est mis en place en Ile-de-France et dans huit métropoles ; la Guyane, elle, vit sous couvre-feu depuis plusieurs mois. Comment a été mené ce couvre-feu en Guyane ? Quels enseignements en tirer ? Pourquoi et comment peut-il avoir un impact sur le nombre de contaminations ?

Guillaume Erner reçoit Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique à Rennes :

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Un couvre feu évolutif en Guyane

Pascal Crépey : "Ce couvre feu a été mis en place à la sortie du confinement, lorsque les mesures qui, elles ont été efficaces pour garder le contrôle sur l'épidémie dans l'Hexagone, se sont révélées inopérantes en Guyane : certainement en partie en raison de la forte pression épidémiologique de son voisin, le Brésil, chez qui le virus circulait énormément. Donc le couvre feu a d'abord été instauré à partir de 22 heures avec certaines parties de la région sous confinement (pour les parties les plus touchées). Et puis, il a été progressivement ramené jusqu'à 17 heures parce que le fait de le mettre à 22h n'était clairement pas suffisant. Lorsqu’on regarde les analyses qui ont été menées, notamment les analyses de l'Institut Pasteur, pour en évaluer l'impact, on s'aperçoit qu'il aurait permis de réduire de près d'un tiers le nombre de reproduction effectif du SarsCov2, en le passant de 1,7 (qui était assez élevé et relativement similaire à ce que l'on vit aujourd'hui dans l'Hexagone) à 1,1 / 1,2 (qui a été un niveau de propagation du virus suffisamment faible pour que le système hospitalier guyanais puisse le supporter.)"

En Guyane, d'autres mesures ont été adoptées parallèlement au couvre feu : réduction du nombre de vols aériens, fermeture des frontières. Ces deux autres mesures n'ont pas été appliquées en métropole, comment distinguer l’efficacité du couvre feu de celle des autres mesures ?  Comme l'explique Pascal Crépel : "C'est toujours un peu difficile d’isoler le couvre feu des autres mesures. D'ailleurs, si vous regardez, il y a aussi en Allemagne que le couvre feu a été adopté par certains Länder et dans le même temps, l'Allemagne a imposé une interdiction des rassemblements à plus de 2 personnes."

Il y a aussi en Allemagne que le couvre feu a été adopté par certains Länder et dans le même temps, l'Allemagne a imposé une interdiction des rassemblements à plus de 2 personnes. Pascal Crépey.

"Donc, les analyses qui ont été faites de l'impact du couvre feu en supplément des mesures qui existaient, ont montré que le couvre feu n'apportait pas plus parce que, effectivement, les mesures qui étaient déjà en place étaient déjà assez fortes. Différencier l'impact d'une mesure par rapport à une autre, c’est vrai que c'est assez compliqué. Néanmoins, lorsqu'on compare les différents pays et les différentes mesures qui ont pu être prises, on s'aperçoit quand même assez bien que lorsque l'épidémie est déjà déployée sur le pays et que le virus circule, la fermeture des frontières et l'arrêt des vols internationaux ne changent pas grand chose à l'affaire. Oui (la fermeture des frontières et l’arrêt des vols) limite le risque d'importation du virus, mais une fois que le virus est là, le fait que des gens arrivent en plus ne change pas la dynamique du virus."

À réécouter : Vis ma vie de matinalier
L'Humeur du matin par Guillaume Erner
2 min

Quelle incidence sur les regroupements de personnes des lieux publics aux intérieurs privés ? 

Avec la mise en place d'un couvre feu, faut-il craindre des déplacements de regroupements de population de l’espace public vers l’espace privé ? A cette question, Pascal Crépey répond que : "Dans le détail, c'est toujours un peu difficile à dire. Les études (concernant notamment le couvre feu en Guyane) ne vont pas jusqu'à ce point de précision-là, à ma connaissance. Néanmoins, l'objectif du couvre feu, c'est justement d'aller plus loin que la fermeture des bars et des restaurants, pour limiter les contacts inter individuels que l'on peut avoir dans ces endroits. C’est justement étendre cette limite jusqu'à la sphère privée pour que ces contacts dans les restaurants et les bars ne se déplacent pas dans la sphère privée, dans les appartements, chez les uns et chez les autres. Parce qu'au final, ce n'est pas le fait d'être dans un bar ou dans un restaurant qui nous met à risque de contamination. C'est bien le fait d'être en contact avec d'autres personnes, mais surtout d'être en contact avec d'autres personnes sans masque, dans une atmosphère confinée : deux éléments très favorables à la propagation du virus. En journée, en général, les gens sont masqués, que ce soit au travail et même dans la rue. Donc, ces contacts là sont beaucoup moins à risque que les contacts que l'on peut avoir le soir dans ce genre de contexte."

Distinguer le nombre d'interactions sociales de jour et de nuit 

Pascal Crépey : "Oui les interactions sociales sont moins nombreuses la nuit que le jour, mais (la nuit), ce sont des interactions sociales qui sont concentrées et surtout très exposantes : lorsque vous allez dans un bar ou dans un restaurant, ou lorsque vous recevez des amis chez vous, vous ne portez pas de masque, vous êtes en intérieur. Parce que ce sont des amis, vous ne respectez pas forcément les distanciations physiques qui vous permettraient d'éviter les provocations (contaminations). En journée, au travail ou même dans les transports en commun, les interactions sont beaucoup plus ponctuelles, on peut prendre des distances et surtout, on a la possibilité de porter des masques, de se laver les mains, d'éviter ainsi un grand nombre de contaminations."

L'Humeur du matin par Guillaume Erner
2 min

Couvre feu et prise de conscience 

La mise en place du couvre feu participe-t-elle à la prise de conscience collective du sérieux de l’épidémie ? Pour Pascal Crépey : "On a aussi dit cela du confinement et si c'est le cas, ça ne peut que rajouter de l'efficacité aux mesures de contrôle. Malheureusement, ce serait une bonne chose. Il ne faut pas effectivement négliger cet aspect. Si le couvre feu permet de nous forcer collectivement à être plus vigilants, les mesures individuelles qui sont déjà en place comme le lavage des mains, le port du masque et la distanciation physique n’en seront que d'autant plus efficaces. Et nous gagnerons le contrôle sur l'épidémie d'autant plus rapidement. "

Le couvre feu en métropole : quels résultats attendus ? 

Pascal Crépey : "Les résultats obtenus en Guyane ne sont bien évidemment pas directement transposables à l'Hexagone. On est une grosse métropole très dense en population, comme celles qui sont aujourd'hui frappées par ce couvre feu. L’efficacité et les résultats attendus sont pour l'instant relativement théoriques…"

Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.