

Avec la pandémie, les restrictions sanitaires et l'incertitude économique, pour l’ensemble de l’année 2020, le secteur aérien prévoit une baisse du trafic mondial de l’ordre de 66%. Comment peut-il penser l'avenir ?
- Marc Ivaldi directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), professeur d'économie à la TSE, l'école d'économie de Toulouse.
Des avions cloués au sol et des aéroports vidés de leurs voyageurs. La pandémie a évidemment aussi touché de plein fouet le secteur aérien. L’IATA, l’association internationale du transport aérien, a réclamé, vendredi (20 novembre 2020) de nouvelles aides publiques. Sur l’ensemble de l’année 2020, elle prévoit une baisse du trafic mondial de l’ordre de 66%. De nombreuses suppressions d’emploi sont envisagées. Quelles sont les perspectives d’avenir pour les compagnies comme pour l’industrie ? Faut-il changer de modèle ? Le secteur aérien a-t-il les moyens et l'opportunité de se réinventer ?
Guillaume Erner reçoit Marc Ivaldi, directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), professeur d'économie à la TSE, l'école d'économie de Toulouse.
Etat des lieux
Après les 160 milliards de dollars déjà injectés dans le secteur aérien à l’échelle mondiale depuis le début de la pandémie au printemps, l’association internationale du transport aérien réclame un nouveau soutien financier : est-ce qu’aujourd’hui le secteur ne survit que grâce aux aides publiques ?
Marc Ivaldi à propos du soutien apporté au secteur aérien par les Etats : "Oui le secteur survit grâce aux aides et ça va être le cas tant que effectivement la situation ne sera pas revenue à la normale du point de vue sanitaire. Les annonces récentes de l'arrivée très prochaine de vaccins changent la donne. Il est absolument nécessaire que l’on retrouve une situation tout à fait stable de ce côté là pour que le trafic aérien reprenne. "
Le trafic interne domestique, en Chine, est revenu à 100%. Marc Ivaldi
Il y a déjà eu des variations dans le transport aérien. On songe par exemple à ce qui s'était passé après le 11 septembre 2001, mais absolument rien de comparable à ce que ce secteur est en train de traverser.
Marc Ivaldi : "Ce n’est pas comparable parce qu’en 2001, c’était le résultat d'une attaque terroriste, donc c'était un problème d'organisation de la sécurité. Ici, c'est un problème lié évidemment à la diffusion du virus. Les choses sont totalement différentes. On le voit bien en Asie, et en particulier en Chine, où ils ont - pour le moment en tout cas - vaincu le covid et on voit le trafic aérien reprendre totalement. Le trafic interne domestique, comme on dit, en Chine, est revenu à 100%."
Tourisme de loisir et tourisme d’affaires
Il y a d'un côté le transport aérien destiné aux touristes, de l'autre, celui destiné aux voyages d'affaires. Le développement de l'utilisation des nouvelles technologies (visioconférences etc.) avec la pandémie, peut-il avoir une incidence, sur le long terme, sur le tourisme d'affaires ?
Marc Ivaldi : "Cette technologie (zoom / téléréunions) est maintenant très, très au point. On voit bien qu'on peut faire des conférences avec des centaines de personnes et qui fonctionnent très bien. Donc, il va y avoir un impact. Bill Gates disait il n'y a pas longtemps que ça allait impacter ce segment du marché (le tourisme d’affaires) de plus de 50 %. Peut-être, mais peut-être pas autant, c’est difficile à dire quel va être le changement des préférences… Mais c'est sûr que c'est moins cher, c’est plus sûr d'une certaine manière, et c'est très efficace… Dans une grande partie (des entreprises), on peut faire très bien par ces méthodes et je pense qu'effectivement, ça va avoir un impact important. Evidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle pour les compagnies aériennes parce que les compagnies aériennes font du chiffre, font de la marge sur ce secteur, donc elles devront s'adapter à cause de ça."
Bill Gates disait que ça allait impacter ce segment du marché (le tourisme d’affaires) de plus de 50 %. Marc Ivaldi
Vers un retour à la normale ? Différents scénarios sont faits, un retour à la normale "acceptable" en 2024, 2027.... ?
Marc Ivaldi : "Difficile d'être devin, ce sont des modèles, on parle effectivement de 2024... On peut être plus optimiste. Regardez ce qui vient de se passer en Chine : un retour très rapide du trafic intérieur. C'est très probable que ça va mettre un petit peu de temps. Les gens qui se déplacent pour des motifs touristiques vont être impactés par la baisse des revenus. Mais il faut voir une chose : le trafic aérien concerne 2% de la population mondiale. Ce ne sont clairement pas les plus pauvres, les moins pauvres, donc… Je parie plutôt sur un retour très rapide à la normale."
Quelles répercutions sur l’industrie aéronautique ?
Marc Ivaldi : "On ne pourra pas rattraper le retard pris : le retard dans le sens où on n'a pas produit pendant toute cette période. Il est certain que ce secteur attend avec impatience un retour du trafic aérien parce que évidemment, ils ne vendront pas d'avions et ne feront que décaler les commandes, peut-être même les annuler. Evidemment, un retour est important."
C'est un secteur extrêmement important pour l'Europe. Marc Ivaldi.
Marc Ivaldi : "Je pense que les gouvernements vont tout faire pour essayer de sauver ce secteur qui va bénéficier d'autres aides et encore plus parce que c'est un secteur extrêmement important pour l'Europe. Mais ça ne va pas empêcher peut-être des restructurations, c'est-à-dire des rachats d'entreprises, une reconfiguration des entreprises. Parce que ceux qui souffrent, ce sont les très grandes entreprises comme Airbus, mais aussi les sous traitants qui probablement et même certainement, n'ont pas les capacités financières, la trésorerie pour tenir longtemps. On peut s'attendre à des restructurations. Je pense que tout sera fait pour que le chômage ne soit pas la seule issue pour les travailleurs de ce secteur."
On peut s'attendre à des restructurations. Marc Ivaldi.
La contrainte climatique
L’avion est un mode de transport qui est observé de manière assez sévère parce qu’on l'accuse d'être très polluant. Ceci va se surajouter à la méfiance et la volonté de ne plus prendre ou de moins prendre l'avion.
Le transport aérien ne concerne qu'une toute petite partie de la population mondiale. Marc Ivaldi.
Marc Ivaldi : "C’est un phénomène qui vient de prendre de l'ampleur avec l'activisme autour de cette question. Le transport aérien ne concerne qu'une toute petite partie de la population mondiale. Le transport aérien, c'est 2% des émissions de gaz à effet de serre. Les gens ont pris conscience, veulent faire quelque chose pour le climat et se disent « je ne vais pas me déplacer avec l'avion ». Mais ils verront très vite que ça n'aura aucun ou très peu d'effet parce que, justement, le transport aérien représente très peu de CO2. Il faut bien que les gens comprennent que l'impact sur les gaz à effet de serre et le CO2, c'est nous, les voitures, tous les jours et que c'est là où il faut faire des efforts. On voit que les efforts, c'est compliqué à faire. Dès qu'on parle de taxation du carbone et de l'essence, les gens réagissent moins. Je pense que le transport aérien va faire des efforts."
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