L’agence spatiale européenne a signé mardi 1er décembre 2020 un contrat avec une start-up suisse, en charge de mener une mission de nettoyage de l'espace. Cette mission est prévue pour 2025, une première mondiale.
- Christophe Bonnal Ingénieur au CNES
Des satellites qui se perdent, des morceaux de fusées qui flottent. Autour de la terre, gravitent plusieurs milliers de débris spatiaux… Au total, près de 8 000 tonnes flottent au-dessus de nos têtes et s’accumulent depuis le lancement du premier satellite, Spoutnik 1, en 1957. L’agence spatiale européenne a donc décidé de nettoyer l’espace. Elle a signé mardi 1er décembre 2020 un contrat avec une start-up suisse, en charge de mener à bien cette mission. Une première mondiale.
Guillaume Erner reçoit Christophe Bonnal, ingénieur au CNES, Centre National d’Etudes Spatiales, auteur notamment de « Pollution spatiale : l’état d’urgence », ed. Belin, en charge des débris spatiaux depuis 1987.
La nature de ces débris
Christophe Bonnal : "Parmi ces 8 000 tonnes, il y a quand même à peu près 2 500 satellites actifs qui sont absolument fondamentaux pour nos vies quotidiennes. C’est vraiment le fondamental du spatial : tous les satellites d'observation de la Terre, d'environnement, de télécommunications, etc. Au total, on considère qu'il y a à peu près 34 000 objets de la taille de 10 cm ou plus, c’est-à-dire de la taille du poing ou plus. Parmi ces 34 000 objets, il y a 2 500 satellites actifs. Tout le reste, c'est des débris. Un débris, c'est un objet artificiel, de la main de l'homme, en orbite au-dessus de nos têtes et qui ne sert à rien, qui n’a pas de fonction."
Le syndrome de Kessler : l'emballement des collisions
Une mission de nettoyage va être lancée pour 2025 et il est temps. Car comme l'explique Christophe Bonnal : "Depuis 1957, le nombre d'objets augmente fortement dans l'espace et nous fait craindre un phénomène d'emballement qu'il s'appelle le syndrome de Kessler, du nom de Donald Kessler, qui était le premier directeur de la NASA sur le sujet des débris et qui avait théorisé tout ça. Il s'agit d'un emballement du à des collisions mutuelles en orbite : c’est-à-dire deux objets se rentrent dedans, régénèrent un millier de nouveaux débris, qui eux mêmes vont après régénérer d’autres collisions, etc. C'est un peu le film « Gravity » sauf qu'au lieu de durer une heure et demie, là, ça s'étale sur dix ou vingt ans. C’est quelque chose qui nous inquiète et qui est probablement déjà en cours sur les orbites les plus encombrées, c'est-à-dire entre 700 et 1.000 km d'altitude environ. Ce qu'il faut faire, c'est premièrement, fondamentalement, avoir une réglementation très claire (soyons propres à partir de demain), on y a énormément travaillé au niveau international, c'est valable pour les nouvelles missions mais pas pour ce qui est déjà là haut."
Comme le précise Christophe Bonnal : "Pour ce qui est déjà là-haut, on montre que, idéalement, il faudrait aller chercher cinq ou dix gros (débris) par an (donc, les plus gros ou le plus dangereux) ; aller les chercher, les désorbiter, les faire rentrer, les faire brûler dans l'atmosphère au-dessus du Pacifique, de manière à s'en débarrasser et finalement, de manière à retirer un risque de collision en orbite sur ces zones les plus plus encombrées."
Quels risques pour les Terriens ?
Christophe Bonnal : "Malheureusement, oui, il y a un risque. Ce n’est même pas qu’il y a un risque, car pour toutes les orbites (jusqu'à peu près 2.000 km d'altitude), ces débris rentrent forcément sur Terre. Heureusement, au moment où ils rentrent sur terre, ils traversent l'atmosphère et pendant la traversée de l'atmosphère, ils subissent un freinage extrêmement violent et un échauffement très, très élevé (ils peuvent monter à 1000, 1200, 1400, 1600 degrés Celsius à la surface). Donc globalement, ils fondent. Malheureusement, ils ne fondent pas complètement. Il y a des objets qui ne fondent pas, par exemple le titane, le carbone… Donc, il y a une certaine masse qui survit à la rentrée (dans l’atmosphère). On estime qu'il y a à peu près 10 à 20% de la masse d'un satellite ou d'un étage supérieur (de fusée) qui survit à la rentrée (dans l’atmosphère) et impacte la surface du globe. Heureusement, la surface du globe c’est 71% d'océan et de mers, 10% de déserts… Donc, on touche du bois, pour le moment, il n'y a jamais eu de victimes recensées… Je crois que la zone densément peuplée sur Terre ne représente que 3% de la surface du globe."
Il y a une personne qui a été touchée par un débris, mais c’était un débris très léger qui s'est posé délicatement sur son épaule, un peu comme une feuille morte, qui fumait. Christophe Bonnal.
Christophe Bonnal poursuit : "Donc, on a eu de la chance. Statistiquement, c'est normal qu'on n’ait pas eu de victime. Statistiquement, on a calculé qu’on aurait dû avoir une victime, mais pas plus, depuis le début de l'histoire de l'astronautique. Il y a une personne qui a été touchée par un débris, mais c’était un débris très léger qui s'est posé délicatement sur son épaule, un peu comme une feuille morte, qui fumait. La personne l’a porté au shérif du coin, qui l'a porté à la NASA et on a vu que c'était un morceau d’étage de fusée qui était rentré."
Comment nettoyer l’espace de ces débris flottants ?
Quelle technique va être déployée dans la mission de nettoyage prévue pour 2025 ? Comme l'explique Christophe Bonnal : "On sait où se trouvent ces débris. Tous les objets de plus de 10 cm à peu près sont catalogués, il y a un catalogue que vous pouvez trouver sur internet librement ( http://www.space-track.org). Donc oui, on sait où sont, dans l'espace, tous les objets de plus de 10 cm à peu près après. Après, par contre, c'est vraiment compliqué d'aller faire un rendez-vous avec ces objets. Il faut bien se rendre compte qu'un objet orbital brassé à 800 km d'altitude, par exemple, ça bouge à 30 000 km à l'heure (en comparaison, une balle de fusil, c'est 1 000 km/h). Donc pour aller rattraper un objet comme ça, c'est extrêmement compliqué. Il y a toute une technique à développer au niveau d'un rendez-vous. Dans le cas de la mission Clear Space One de nos amis suisses, ils ont un genre de véhicule, un genre de chasseur qui va faire un rendez-vous, qui va aligner son orbite avec celle de l'objet chassé, celle de la cible, s’en rapprocher progressivement, et au moment où elle est quasiment au contact de la cible, il déploie quatre tentacules qui vont envelopper le débris et le solidariser. C’est assez compliqué parce que, bien sûr, le débris lui même, il bouge, il tournoie un peu sur lui même. Donc, il faut se phaser correctement pour pouvoir l'attraper correctement. Donc une fois qu'il est attrapé, solidarisé du chasseur, alors le chasseur rallume ses moteurs de manière à plonger l'ensemble dans les hautes couches de l'atmosphère au-dessus du sud du Pacifique."
Un objet orbital brassé à 800 km d'altitude, par exemple, ça bouge à 30 000 km à l'heure (en comparaison, une balle de fusil, c'est 1 000 km/h). Christophe Bonnal
Vers un nouveau marché avec des acteurs privés ?
Christophe Bonnal : "C'est ce qui est fondamental avec cette mission, qui est remarquable. Les opérations que je viens de décrire ne sont pas données, c'est évident. Qui serait assez fou pour aller payer ne fut-ce que 1 centime pour aller se débarrasser d'une épave spatiale là-haut, qui ne sert plus à rien, qui n'a aucune valeur intrinsèque ? On avait regardé si on pouvait les recycler... Au moment où il faut payer des missions de ce genre là, on a beaucoup d'autres missions beaucoup plus utiles pour l'homme (missions d'environnement, etc.) donc, évidemment, la question se pose. Et là, la subtilité qui a été trouvée, c'est qu'en fait, le genre de mission pour aller rechercher un débris, ressemble beaucoup à ce qu'on appelle « le service en orbite ». Le service en orbite, c'est la camionnette de Darty ou autre qui le lundi, va réparer un satellite, le mardi, va en remplir un, le mercredi, va inspecter un autre satellite, le jeudi va en déplacer un d’un point A à un point B etc… Et en fin de mission, naturellement, il se désorbite, puisqu'il faut laisser l'espace propre. Et en se désorbitant, il prend le débris le plus proche de lui de manière à se désorbiter avec lui. Et donc là, du coup, la mission de désorbitation elle-même devient marginale au niveau du coût global. Pour toutes ces missions de service là, il y a vraiment un business, un marché, des activités fortes à faire. On parle beaucoup des méga constellations, ces déploiements de dizaines de milliers de nouveaux satellites (d’Internet notamment), ces satellites ne sont pas très chers, donc ils tombent en panne et il faut aller les rechercher pour les désorbiter."
Qui serait assez fou pour aller payer ne fut-ce que 1 centime pour aller se débarrasser d'une épave spatiale là-haut, qui ne sert plus à rien, qui n'a aucune valeur intrinsèque ? Christophe Bonnal
Article (en anglais) de Christophe Bonnal sur les débris spatiaux. Pour y accéder, cliquez ici.
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