Entre 1997 et 2018, le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de l’Etat est passé de 650 000 à 228 000. La fonction publique n'attire plus la jeunesse. Comment l'expliquer ?
Jean-Michel Blanquer a annoncé lundi 16 novembre 2020 qu’à compter de 2021, les enseignants débutants verront leur salaire augmenter de 100 euros. Cette revalorisation salariale suffira-t-elle à créer de nouvelles vocations ? Plus largement, c’est la fonction publique, dans son ensemble, qui souffre d’un manque d’attractivité. Comme le rappelait le journal « Le Monde », en fin de semaine dernière (édition du 12 novembre 2020), « être fonctionnaire n’attire plus la jeunesse ». Entre 1997 et 2018, le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de l’Etat est passé de 650 000 à 228 000. Comment expliquer cette désaffection ?
Guillaume Erner reçoit Elsa Pilichowski, directrice de la gouvernance publique à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
Une baisse sensible du nombre de candidats
Elsa Pilichowski : "On mesure l'attractivité de la fonction publique en France par le nombre de candidats aux postes de la fonction publique, qui a énormément baissé. Entre 1997 et 2018, il est passé de 650 000 à 228 000, sans pour autant atteindre le record le plus bas en 1988 de 200 000 candidats."
Les chiffres sont préoccupants. C'est une énorme baisse. Elsa Pilichowski
Elsa Pilichowski : "Ils doivent être regardés un petit peu en détail puisqu’ils ne comprennent pas tous les agents publics. Aujourd'hui, un agent public sur cinq est contractuel. Donc, ça ne concerne pas ces personnes-là. Par ailleurs, le nombre de postes a diminué aussi dans un certain nombre de secteurs de la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale. Par ailleurs aussi, il faudrait évidemment regarder la qualité des candidats et s'ils sont adaptés aux métiers d'aujourd'hui et de demain, là où c'est effectivement plus difficile."
"Néanmoins, on peut quand même être préoccupé par la situation et il faudrait analyser un peu les raisons métier par métier, puisque les raisons qui expliqueraient la baisse de l'attractivité de la fonction publique sont effectivement très différentes d'un métier à un autre. Il est vrai qu'en France, on a tendance à considérer la fonction publique comme un bloc, mais la situation n'est pas la même pour un enseignant du primaire que pour un médecin hospitalier que pour un fonctionnaire de Bercy, par exemple."
Les raisons qui expliqueraient la baisse de l'attractivité de la fonction publique sont effectivement très différentes d'un métier à un autre. Elsa Pilichowski
Elsa Pilichowski : "Cette baisse affecte toutes les fonctions publiques. Je rappelle qu'il y a trois fonctions publiques : la fonction publique d'Etat, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. Elle affecte ces trois fonctions publiques - un petit peu moins la fonction publique territoriale, mais néanmoins quand même, elle affecte toutes les fonctions publiques."
Dans les années 80, en 1988 précisément, on avait touché un plus bas en termes de nombre de candidats à l'entrée dans la fonction publique. Comment cette cohorte si faible avait-elle augmenté par la suite - puisqu'on était remonté d'un peu plus de 200 000 candidats en 1988 à 650 000 candidats en 1997 ?
Elsa Pilichowski : "Le nombre de candidatures évolue en fonction d'un certain nombre de critères, mais aussi en fonction de l'aura que l'on place dans l'action publique. D'ailleurs, vous avez une enquête en 2018 en France sur les jeunes et sur les raisons pour lesquelles les jeunes se détournent des concours de l'administration publique qui montrerait que, pour eux, l'administration ne fait plus la différence. Or, les métiers de la fonction publique - et c’est partout la même chose dans le monde - attirent des personnes qui ont le sens du service public, l'envie de faire la différence et l'envie de la chose publique. Cette envie de la chose publique a diminué à peu près partout. Probablement, l'une des raisons qui explique ceci, vient de la diminution de la capacité des États à l'intérieur de leurs frontières à agir, à façonner les sociétés de demain. Et ce, probablement en raison de l'émergence du digital, l'émergence des problèmes globaux, etc. sur lesquels ils ont moins de prise qu'ils n'en avaient auparavant."
Les métiers de la fonction publique attirent des personnes qui ont le sens du service public. Elsa Pilichowski
Les rémunérations sont-elles au cœur de cette désaffection ?
Elsa Pilichowski : "Ça reste un sujet plus large et débattable en fonction des métiers. On sait par exemple qu'un enseignant en France gagne moins, notamment au niveau des enseignants du primaire, que dans la moyenne des pays de l'OCDE. C'est aussi le cas, par exemple, des infirmiers du secteur hospitalier. Mais ce serait moins le cas pour, par exemple, les fonctionnaires, les cadres moyens des administrations centrales qui seraient aussi bien payés, voire parfois mieux payés que la moyenne des pays de l'OCDE."
La gestion des Ressources Humaines
Elsa Pilichowski : "La gestion des ressources humaines en France est un petit peu, je dirais, un peu particulière aujourd'hui au sein des pays de l'OCDE. Evidemment, la France a une fonction publique qu'on appelle « de carrière » - autrement dit, elle est différente de ce qu'on appelle une fonction publique « d’emploi » qui recrute poste par poste. Donc la France a une gestion un peu particulière par groupe, par corps. Beaucoup de choses ont changé. Il y a quand même plus de mobilité qu'auparavant, les concours évoluent, etc. La ministre a annoncé aussi beaucoup d'heures de travail, le travail sur la mise en place d'une marque employeur ou plus de travail sur la mobilité, etc. Toutes des mesures qui vont dans le bon sens par rapport à l'évolution dans les autres pays de l'OCDE."
Les autres pays de l'OCDE
Elsa Pilichowski : "On a un problème d'attractivité dans de très nombreux pays de l'OCDE. Par exemple, en Allemagne (qui paie très très bien ses enseignants - beaucoup mieux qu'en France) l’Allemagne connaît aussi des problèmes d'attractivité dans son corps enseignant. C'est un problème général qui inquiète partout dans les pays de l'OCDE, qui inquiète peut-être plus en France en raison de la place de l'Etat dans l'économie et dans la société. "
C'est un problème général qui inquiète partout dans les pays de l'OCDE. Elsa Pilichowski
Même avec un niveau de chômage élevé, on a des carrières publiques qui attirent très peu (des carrières qui peuvent pourtant offrir des emplois sécurisés).
Elsa Pilichowski : "Oui, absolument. Il faut voir aussi, par exemple, que sur un certain nombre de métiers, les métiers entre guillemets "d'avenir", c'est-à-dire tous les métiers qui ont à voir avec les technologies de l'information, les données, qui sont faits pour attirer des ingénieurs, etc. et bien tous les pays ont beaucoup, beaucoup de mal à attirer ces métiers dans la fonction publique. Et ça, c'est un vrai sujet puisque ce sont les métiers qui feront que l'Etat sera capable, compétent, d'agir dans le monde global et digital de demain - ce qui est peut être un peu au coeur des problèmes d'attractivité aujourd'hui."
Dans tous les pays, la fonction publique rencontre des difficultés aussi à attirer des ingénieurs sur des métiers d'avenir, en rapport avec les technologies de l'information, les données etc. C'est un vrai sujet. Elsa Pilichowski
Le contexte de la pandémie peut-il inverser la tendance ?
La pandémie a fait prendre conscience à tout le monde aujourd’hui de l’importance (si on en doutait auparavant) de la fonction publique hospitalière (notamment).
Elsa Pilichowski : "J'espère car la chose publique est importante. On ne peut pas dire encore aujourd'hui (quels seront les effets de la pandémie sur l'attractivité de la fonction publique). On n'a pas les chiffres ni les enquêtes qui le montreraient. Mais c'est sûr que l'État, les États, partout dans le monde, sont revenus un peu sur le devant de la scène. On se rend compte du rôle essentiel qu'ils ont à jouer et aussi de l'importance de moderniser les outils qu'ils peuvent avoir non seulement pour gérer les crises, mais pour gérer le monde global."
Les États, partout dans le monde, sont revenus un peu sur le devant de la scène. Elsa Pilichowski
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