

Que recouvre la notion de "trouble du deuil prolongé" qui vient d'intégrer les pathologies référencées dans le DSM5, manuel américain de classification des maladies mentales, régulièrement contesté ?
- Patrick Landman psychiatre, psychanalyste, Président d'Initiative pour une Clinique du Sujet Stop DSM, auteur de « Tous Hyperactifs ? », éditions Albin Michel
Une nouvelle maladie a fait son entrée dans la dernière version du DSM 5 publiée il y a quelques jours, le 18 mars 2022 : le « trouble du deuil prolongé ». Pour rappel, le DSM5, c’est le manuel américain de diagnostic et de statistique des troubles mentaux, une bible de classification des maladies mentales, régulièrement actualisée mais aussi contestée. Qu’est-ce que le trouble du deuil prolongé ? Pourquoi le faire entrer dans le champ des pathologies ? Comment évaluer le caractère « normal » (entre guillemets) d’un chagrin, de sa durée, après un deuil ?
Guillaume Erner reçoit Patrick Landman, psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste et président de l’association stop DSM.
Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.
Comment définir le trouble du deuil prolongé ?
"C’est une question préalable avant toute discussion", nous dit Patrick Landman, "surtout depuis quelques jours puisque un certain nombre de français se sont retrouvés avec une nouvelle maladie mentale qu’ils n’avaient pas la veille".
Pour mieux comprendre de quoi il est question, le médecin Patrick Landman nous lit un des passages du DSM 5 :
"Le trouble du deuil prolongé peut survenir après le décès d’une personne proche dans un délai d’au moins 6 mois; quand il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent qui a été perdu, le délai est rallongé jusqu’à un an. Vous pouvez ressentir une profonde nostalgie pour la personne décédée et faire une fixation sur ce genre de pensée. Cela peut rendre difficile le fonctionnement à la maison, au travail et dans d’autres contextes importants ; c’est un diagnostic fonctionnel. Voici quelques signes avant coureur de ce trouble : l’impression qu’une partie de vous est morte, un sentiment d’incrédulité face à la mort, éviter les rappels de la mort qui concerne la personne, une forte douleur émotionnelle liée au décès, colère, amertume, tristesse. Difficultés à poursuivre sa vie, socialiser avec des amis, poursuivre ses intérêts, planifier l’avenir. Engourdissement émotionnel, sentiment que la vie n’a pas de sens, solitude extrême… avoir du mal à se souvenir des souvenirs positifs qui concernent la personne…etc."
Un ensemble global qui consiste à psychiatriser toute une série d’émotions
Selon Patrick Landman, "ce n’est pas un ensemble de symptômes qui constitue une entité pathologique, appelé “syndrome” en médecine. Cela ne révèle pas une situation dangereuse sur le plan de la santé mentale. C’est un ensemble hétéroclite de signes, de comportements qui appartiennent pour certains à la dépression ordinaire et pour d’autres aux post-traumatiques, aux fantasmes, aux idées délirantes et aux repli social."
La notion de deuil pathologique a-t-elle un sens ?
Selon, Patrick Landman, "oui cela a un sens, mais dans cette situation, on est face à quelque chose qui n’est pas une définition claire du deuil pathologique".
"Le deuil pathologique, ce sont des gens qui, très tôt durant la période de deuil, commencent à avoir des idées délirantes, commettent des tentatives de suicides graves. Ce n’est pas le deuil prolongé mais un deuil connu depuis longtemps par les cliniciens; c’est une extrême minorité de gens endeuillés par rapport à l’immense flot de gens traversant le deuil dans leur vie."
"Ce qui est intéressant", selon Patrick Landman, "c'est que le deuil est une période difficile pour le psychisme, c’est une période de fragilisation, qui peut être déclencheur de certaines pathologies, mais ce n’est pas pour autant que c’est un deuil prolongé."
Est ce que le deuil est associé à la dépression ?
Selon Patrick Landman, "il est à la fois à associer et à distinguer. À associer car il y a des troubles comportementaux, des signes qui rappellent la dépression mais qui s’en distinguent tout de même". Patrick Landman évoque par ailleurs un article de Freud, faisant bien la distinction tout en le rapprochant, intitulé Deuil et Mélancolie.
Est ce que cela vaut la peine d’aller voir un psychiatre, psychanalyste, lorsqu’on est en deuil et qu’on a du mal à y faire face ?
"C’est une appréciation au cas par cas", estime Patrick Landman. Il poursuit :"parfois cela est vraiment inutile, il faut laisser le travail de deuil se faire et cela est beaucoup plus productif pour la personne, quitte au cours du deuil à aller consulter."
"Puis, parfois cela peut être nécessaire si on arrive pas à ‘fonctionner’". "Mais selon lui cela ne peut pas être protocolarisé, il faut que ce soit au cas par cas".
Y a-t- il des signes qui doivent nous alerter lorsqu’on est en deuil ?
Patrick Landman : "L’insomnie qui persiste est un signe de souffrance psychique qui prouve qu’on est dans une période de deuil assez difficile. C’est un signe qui, si il dure, peut inciter à consulter… La frontière entre les variations de la normale et l'entrée dans la pathologie est très floue en psychiatrie, donc c'est une appréciation clinique au cas par cas. La frontière entre les variations de la normale et l'entrée dans la pathologie est très floue en psychiatrie, donc c'est une appréciation clinique au cas par cas."
Patrick Landman précise que "selon le New York Times des études ont été faites, concernant un médicament qui serait soit disant un soulagement à ceux qui souffrent de cela". Mais il fait part de sa réticence face à ces pratiques, expliquant "qu’il s’oppose à donner aux gens endeuillés, des médicaments, des antidépresseurs, avant une appréciation clinique approfondie. Cela les empêche de faire le deuil et les anesthésie" nous dit-il.
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