Mardi 15 septembre 2020, devant un parterre de dirigeants d’entreprises du numérique, Emmanuel Macron a vanté le tournant de la 5G pour la France ; déclenchant une nouvelle salve de critiques. Comment expliquer les clivages dans le débat sur la 5G ?
- Dominique Boullier Sociologue, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste des technologies cognitives et des propagations.
Batailles politiques autour de la 5G. Mardi 15 septembre 2020, devant un parterre de dirigeants d’entreprises du numérique, Emmanuel Macron a vanté le tournant de la 5G pour la France ; déclenchant une nouvelle salve de critiques. Dimanche 13 septembre 2020, dans le « JDD », des élus de gauche et écologistes avaient réclamé la mise en place d’un moratoire, d’un délai de réflexion, sur cette nouvelle technologie ; tandis qu’un rapport sur le sujet était remis deux jours plus tard au gouvernement et que les premières fréquences pourront être attribuées aux opérateurs à partir de la fin septembre 2020. Quelles inquiétudes suscite le déploiement de la 5 G ? Et pourquoi ? La 5G clive…
Guillaume Erner reçoit Dominique Boullier, professeur des universités en sociologie à Sciences-Po, auteur notamment de « Sociologie du numérique », ed Armand Colin et d’un ouvrage à paraître aux éditions Le Passeur « Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux » :
Qu’est-ce que la 5G ?
"Il y a plusieurs 5G, puisqu’elle a trois bandes de fréquences qui peuvent être utilisées : une bande de 700 MHz (qui en réalité augmente la 4G actuelle) ; une autre bande de 3,5 GHz et une autre de 26,6 GHz (des ondes millimétriques et qui permettent, elles, de diminuer surtout la latence). La latence, c’est la réactivité qu'il peut y avoir entre les objets connectés et les serveurs, les antennes etc. Donc, ce n’est pas tout à fait la même chose selon le type de technologie dont on parle. Or, dans le paquet de discussions que l'on a, dans l'attribution des fréquences, tout est prévu en même temps. Mais la nature du débat serait assez différente s'il s'agissait seulement d'augmenter le débit, comme le propose d'ailleurs Stéphane Richard, le PDG d'Orange. Alors que d'autres disent que c'est carrément un changement de type de relation avec l'environnement, avec les objets. Et à partir de ce moment-là, c'est quelque chose qui va modifier les applications possibles et qui, surtout, est beaucoup moins connu du point de vue sanitaire, par exemple, du point de vue environnemental, les conséquences et problèmes de sécurité que cela peut poser."
Des zones actuellement non couvertes avec la 3G – la 4G
"C'est une des questions qui mérite d'être posée dans le débat qui est demandé par beaucoup de gens. Elle consiste à dire que la technologie que l'on nous propose en réalité va forcément être déployée dans les endroits où les marchés sont déjà présents et où ça va être rentable ; alors que l'on a des exigences pour la qualité du réseau et l'égalité dans les territoires. C'est quelque chose qui n'est pas du tout prévu en termes de stratégie. C'est ça le problème :
Le débat n'est pas pour ou contre la technologie, c'est plutôt, quelle est la stratégie que nous voulons en tant que pays, déjà, et au niveau européen. Dominique Boullier
"Les inégalités de territoires sont un des problèmes qui mériterait d'être résolu et sur lequel il faudrait mettre de l'argent : là il n’y a pas forcément besoin de 5G, mais de la 4G d'une part, la fibre de plus en plus, puisque celles-là, sur le plan sanitaire ne posent pas de problème."
La sécurité
"Il y a aussi des problèmes de sécurité dans un réseau qui est très fragile et menacé par les hackers très souvent… Il y a un investissement considérable qui serait nécessaire dans la qualité du réseau avant de se lancer dans des investissements pour faciliter la connexion d'objets connectés qui vont être des portes d'entrée aux hackers."
Les effets sanitaires
_"Il sera de toute façon compliqué d'avoir une vision définitive parce qu'on est en train d'associer toute une soupe d’ondes, dans laquelle nous vivons déjà petit à petit. Dégager des facteurs et des causalités spécifiques, c'est assez compliqué. "_
"Mais on peut mener des expériences, on peut surtout admettre qu'il faut un peu de temps pour avoir des rapports argumentés sur ce sujet-là et limiter les risques. Comment on fait cela ? En fixant des cahiers des charges qui soient minimalistes sur le plan des ondes qui sont utilisées. Et à partir de ce moment-là, on garantit au moins d'assurer une forme de sécurité élémentaire. Ça ne garantira pas tout, évidemment, parce qu’on reste dans des situations d'incertitude. Mais en même temps, on peut avoir petit à petit un minimum d'expérience qui doit faire partie du temps dont on a besoin. Ceux pour qui il faut un moratoire, c'est aussi pour cela."
On peut tester un peu plus sur un certain nombre de choses et avoir un peu plus de garanties. Il n'y aura pas de garantie totale - c'est vrai, dans le monde dans lequel on est, il faut arrêter de rêver cela - mais on doit prendre au sérieux les remarques qui sont faites quand on associe un tel nombre de fréquences désormais qui nous traversent, dans lesquelles nous vivons. Dominique Boullier
Une 5G énergivore ?
"Elle consomme de l'énergie, mais on peut désormais la réguler d'une certaine façon, beaucoup plus finement : on nous dit qu'elle est alors efficiente sur le plan énergétique, qu’elle est beaucoup plus efficiente et que c'est donc un progrès de ce point de vue-là."
"Le problème, c'est qu'il faut faire cette analyse au niveau de toute la chaîne de la production : depuis les serveurs, des données, mais aussi des antennes, mais aussi des terminaux et donc le bilan écologique global doit être pris en compte. Or, on sait que ce type de technologie est fait uniquement pour augmenter les débits et donc permettre, à partir de ce moment-là, de consommer encore plus tout ce que l'on aime, les séries, etc. ; de les consommer à tout moment, partout, dans n'importe quel endroit. Est ce que c'est absolument indispensable ? On n'en sait rien, mais en tout cas, c'est quelque chose qui va augmenter – même avec une technologie plus efficiente - qui augmentera la consommation globale. Et donc, nous sommes là, totalement à l'encontre des objectifs - ce que d'ailleurs, la Convention citoyenne pour le climat demandait, c'est-à-dire de dire faisons un moratoire parce que là, nous entrons dans une vague de consommation massive qui n'est pas du tout en phase avec notamment la COP21 de Paris."
La 5G à l'étranger
"Il y a assez peu de pays où elle est vraiment déployée. Puis, encore une fois, il faudrait savoir exactement quelle est la 5G qui a été déployée puisqu'il y a assez peu d'applications réellement opérationnelles en ce moment. En revanche, par exemple, un pays comme la Suisse, qui s’est lancé très vite dans cette affaire, se retrouve dans la situation où désormais, ils sont obligés d'arrêter l'installation des antennes parce qu'il y a une opposition sur le terrain qui est telle que, du coup, ils ont été obligés de rassurer la population et de dire bon ben on attend et on relance un débat."
Refuser le débat maintenant pour l'avoir plus tard, y compris dans des situations bien plus conflictuelles, ce n'est pas forcément très malin. Dominique Boullier
"Je pense qu'on peut prendre le temps, il n'y a pas une absolue urgence. Comme je le disais, les applications ne sont pas là, les services ne sont pas là, et notamment pour tout ce qui concerne les objets connectés. Bien des choses ne seront disponibles qu’en 2024 pour certains et d'autres, on ne sait pas du tout. Donc, on peut se prendre ce temps-là en France. Mais l'idéal serait que ce soit en Europe parce que précisément, il faut prendre le leadership pour fixer un cahier des charges qui soit une alternative aux pressions de la Chine et des Etats-Unis. En l'occurrence, les constructeurs européens que sont Nokia et Ericsson sont aussi dans la boucle."
On a intérêt nous aussi, en tant qu'Européen, à fixer des cahiers des charges assez stricts dès maintenant. Dominique Boullier
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