Alors que le gouvernement a avancé cette semaine l’heure du couvre feu de 20h à 18h sur tout le territoire, plusieurs articles cherchent des leçons à tirer de l’histoire…
Le corps en question dans la presse
À commencer par l’historien Arnaud Exballin qui nous raconte sur le site de The Conversation des siècles de couvre-feu permanent, celui qui contrôlait le travail des corporations, avant l’éclairage généralisé des villes , avant le gout noctambule des sorties et de la fête, ce temps nous dit-il où “La nuit fait peur” tant elle est peuplée "d’êtres maléfiques, de sorcières, de criminels et de débauchés en tout genre dont il faudrait se mettre à couvert". Et Arnaud Exballin prend le temps de nous raconter le déroulé d’une nuit ordinaire à Paris à la fin du XVe siècle, lorsque entre 16 et 17 heures sonnent les tocsins, les hommes et les femmes cessent de travailler et regagnent leur foyer pour s’enfermer à double tour. Et c’est ainsi que les nuits sont vides pendant plusieurs siècles avant de se remplir petit à petit avec l’apparition des lumières sur les trottoirs, et puis les premiers théâtres, les premiers bals, les tavernes, les bars, tout ce qui aujourd’hui est fermé pour des raisons sanitaires... En définitive, nous dit Arnaud Exballin, “au regard du temps long, le couvre-feu imposé par les pouvoirs publics est d’un genre nouveau”.
Dans le Monde, la professeure en théorie politique Charlotte Esptein plonge elle aussi dans l’histoire mais du côté du rapport de pouvoir entre l’Etat et le contrôle des corps, renforcé par la crise sanitaire. C’est, nous dit-elle, “au XVIIe siècle [que] le corps apporta l’issue aux guerres de religions qui avaient déchiré l’Europe pendant plus de cent ans”. Des guerres sanglantes qui prirent fin grâce à un principe, “à chaque roi, sa religion”. En abandonnant la velléité de contrôler les croyances, “en mettant les âmes hors de leur portée politique”, nous explique Charlotte Epstein, “le pouvoir royal se transfère sur les corps, fondement de la modernité politique et de l’Etat moderne. Aujourd’hui le corps est devenu pour la chercheuse ce “bien commun qu’il faut soigner nous dit-elle, et à l’aune duquel il n’est pas possible aujourd’hui de remettre en question la diffusion généralisée de la surveillance des individus”. Charlotte Epstein conclut : “Au sortir de la pandémie, à nous de réclamer plus que la seule défense de nos bonnes santés.”
Et la défense de nos libertés, c’est le coeur d’un dossier publié par Télérama…
Pour le premier, avocat membre de la Ligue des Droits de l’Homme, “l’État d’Urgence, est en train de se substituer à l’Etat de droit, on inverse, ajoute-t-il, la règle traditionnelle de la République, qui veut que la liberté soit le principe, et sa restriction, l’exception".
En témoignent selon Arié Alimi l’entrée dans la loi en 2017 des mesures d’urgences prises en 2015, en témoignent aussi le transfert de certains pouvoirs judiciaires vers l’autorité administrative, "aujourd’hui c’est n’est plus le juge mais le préfet qui peut ordonner des mesures restrictives de libertés" .
De son côté, la philosophe Julia Christ insiste : “le premier confinement l’a démontré, il existe un lien inextricable entre les libertés individuelles et les droits sociaux”. “La sécurité, nous dit-elle, est une assurance sociale dont dépend notre liberté. Ne pas avoir peur de tomber malade, pouvoir manger à sa faim ou être éduqué sont autant de choses indispensables pour exercer sa liberté raisonnablement. Elle ajoute : “La sécurité qui restreint les libertés survient parce que la sécurité qui produit les libertés a été démantelée ”
Enfin, on peut citer l’historien Pascal Ory, toujours dans Télérama, qui ne cherche pas à tirer de leçons du passé mais plutôt s’inquiète pour l’avenir après l’année écoulée.
“En 2020, analyse Pascale Ory, une crise sanitaire majeure nous a rappelé la fragilité de nos démocraties libérales, (...) et Pékin a démontré l’efficacité à court terme de la mobilisation dictatoriale. (...) Si la présente prophétie écologiste est vérifiée, continue l'historien, avec son mélange d’anxiété sanitaire et d'angoisse climatique, l’hypothèse la plus probable est que l’ampleur du danger au lieu de conduire les sociétés humaines vers toujours plus d’autonomie et de participatif, justifiera l'instauration de régimes autoritaires”.
Bref, conclut Pascal Ory en citant Renan : il se pourrait que la vérité fût triste.”
par Mattéo Caranta
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