Accord historique pour les uns, de circonstance pour les autres, désastre politique pour les derniers, les accords des partis de gauche en vue des législatives ont fait couler beaucoup d’encre cette semaine…
A commencer par le directeur de publication de de revue Regards Roger Martelli qui salue « l’union inattendue » de la gauche comme un nouveau moment historique. Et l’historien imagine le chemin que devrait parcourir cette union si elle parvenait au pouvoir. Il ne suffirait pas, note-il, de tourner le dos au hollandisme, ni non plus d’avoir un bon programme, tant les enjeux de nos crises climatiques démocratiques et sociales imposent un devoir de refondation intellectuelle et morale. Il faudrait donc être capable de repenser notre manière de consommer, de délibérer, d’évaluer et de produire. Être fidèle à la formule de l’écrivain Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915 : Pessimisme de l’intelligence, optimise de la volonté.
Optimisme également Dans Médiapart où Edwy Plenel se réjouit d’une Union des Gauches à la mesure du danger accru par cette élection présidentielle : une extrême droite puissante et un débat public gangréné par ses obsessions identitaires et racistes.
Nécessité antifasciste donc, mais aussi impératif démocratique relié à l’épuisement du système institutionnel. Pour le directeur de Médiapart, on ne saurait critiquer l’Union des gauches quelques semaines après avoir appelé collectivement à faire barrage à l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle. La « caricaturer jusqu’à l’insulte » serait pour lui se faire « complice des ombres qui gagnent ». Et s’il faut rester lucide sur la part tactique de cette évolution politique concède Edwy Plenel, il n’y a pas lieu à tant de débats : le temps presse, et il ne s’agit rien de moins que de remettre la République sur ses bases afin d’éviter qu’elle ne sombre : « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ».
Mais tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Dans L’Opinion, le spécialiste des gauches Gérard Grunberg s’inquiète. Et voit dans cette union la disparition de la sociale démocratie en France.
« Un bloc de gauche inédit depuis les années 70 » dit-il dont le moteur serait la radicalité, centrée autour de la figure de Jean Luc Mélenchon. Et Gérard Grunberg use de l’anaphore. Fin de la gauche de gouvernement, fin de la gauche pro-européenne, fin de la parenthèse Mitterrand, reniement du tournant libéral de 1983. Acte final du parti socialiste, fin d’une agonie. Fin « enfin » de la « vieille maison » selon l’expression chère à Léon Blum. Mais si le Parti socialiste disparait les socialistes lui survivront prévient Jules Joffrin dans son édito du même journal, pour une simple raison : il y a toujours un espace politique entre Emmanuel Macron et Jean Luc Mélenchon.
Et c’est justement cet espace politique qui est la cible de l’écrivain Christian Salmon sur Slate.fr qui publie une tribune à charge contre l’un de ceux qui incarne le mieux cet espace : François Hollande. Il revient sur ses cinq années de quinquennat et l’opportunité unique qu’il eut de réformer. Avec une majorité à l’assemblée nationale, au Sénat, dans les régions et les départements, rien ne l’empêchait d’appliquer le programme politique sur lequel il avait élu en 2012. Mais c’est l’inverse qui eut lieu pour Christian Salmon, et c’est l’alliance du Hollandisme avec le néolibéralisme qui explique pour lui le sursaut des électeurs de gauche. Voilà, ironise l’écrivain, qu’un éléphant veut sauver un parti en voie d’extinction…
Enfin dans AOC le sociologue Cyril Lemieux s’interroge sur la recomposition politique en cours dont l’union des gauches est selon lui l’un des derniers symptômes…
Cyril Lemieux propose une clé de lecture pour comprendre l’évolution de la gauche depuis 2012 et plus largement du spectre partisan en France. Il pointe l’incapacité du Parti Socialiste sous François Hollande mais aussi dans la France Insoumise à intégrer la contestation en son sein. A la logique du débat entre sensibilités, à la confrontation entre courants distincts s’est substitué le pouvoir d’un leader. Et ce phénomène « d’externalisation des contestations » que décrit le sociologue n’est pas propre à la gauche, puisqu’il en observe les mêmes travers dans le parti présidentiel ou le rassemblement national.
Ainsi précise Cyril Lemieux, le jeu partisan n’a jamais été aussi « pur » sous la Cinquième République. Et se distingue donc trois projets de société qui amènent chacun d’entre nous à reconnaitre ce qu’il veut « au fond ». Un monde « vraiment » libéral, « vraiment » réactionnaire ou « vraiment » socialiste. Reste à savoir si ce socialisme « effectif » sera capable d’accepter la contestation en son sein.
Par Mattéo Caranta
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