Impasse vaccinale

Jean Castex à l'Assemblée nationale, le 5 janvier 2022 à Paris
Jean Castex à l'Assemblée nationale, le 5 janvier 2022 à Paris ©AFP - BERTRAND GUAY
Jean Castex à l'Assemblée nationale, le 5 janvier 2022 à Paris ©AFP - BERTRAND GUAY
Jean Castex à l'Assemblée nationale, le 5 janvier 2022 à Paris ©AFP - BERTRAND GUAY
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Alors que le projet de loi a été adopté cette nuit en deuxième lecture à l’Assemblée et que les discussions devraient se poursuivre au Sénat, le "pass vaccinal" oppose au-delà des mots présidentiels qui ont cristallisé les débats depuis un peu plus d’une semaine...

Le "pass vaccinal" oppose au-delà des mots présidentiels qui ont cristallisé les débats depuis un peu plus d’une semaine.  Avec plusieurs de type de critiques : des critiques d’ordre stratégique, d’autres d’ordre juridique, et enfin de ce qu’on pourrait appeler d’ordre éthique ou politique... 

Stratégique d’abord, à travers la tribune de l’épidémiologiste William Dab dans le journal Le Monde, qui questionne la notion de « stratégie de santé publique », autrement dit l’ensemble des initiatives qui favorisent la faisabilité et l’acceptabilité des mesures de prévention. Un moyen de maximiser les bénéfices d’une action sanitaire. Une notion qui s’éloigne de la question purement médicale pour se pencher sur les enjeux sociotechniques de la prévention. Appliquée aux personnes non vaccinées, plusieurs questions ont manqué à l’appel pour l’épidémiologiste. Des questions essentielles dit-il pour je cite, « gouverner l’incertitude dans une démocratie ». D’abord selon lui, il aurait fallu bien identifier les non vaccinés et leurs différentes motivations, ainsi que les risques attachés à leurs contagions potentielles. Ensuite poursuit William Dab, identifier, pour chaque groupe, quels étaient les outils à disposition pour convaincre, ceux pour contraindre, et leurs chances de réussites. Il ne faudrait pas conclu le chercheur, que la fabrique du conflit et la stratégie de stigmatisation de certaines catégories de la population soit un moyen de masquer les erreurs et les manquements de ces deux dernières années. 

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Dans Libération, Raphaël Maurel émet des doutes d’ordre juridique 

Principal problème pour ce docteur en droit public, la possibilité inscrite dans le projet de loi de donner à toute personne le droit de contrôler l’identité d’une autre. Aujourd’hui l’obligation de contrôle des pass sanitaires est encadrée par une simple habilitation précise Raphael Maurel, m_ais i_l existe cependant une limite de taille : l’impossibilité de vérifier l’identité de la personne. C’est ce verrou que lève ce texte. Une boite de Pandore pour le juriste qui contient des impensés : les discriminations possibles que pourraient créer ces contrôles mais aussi la protection des bénévoles ou des cafetiers qui seraient contraints de refuser l’entrée à une personne portant un document falsifié. Une compétence de contrôle qui relève pour Raphael Maurel d’une « compétente de police administrative ». De quoi, espère-t-il, rendre inconstitutionnel un tel article.  

Et dans le même journal, c’est la philosophe Barbara Stiegler qui dénonce un dévoiement de l’éthique biomédicale 

Emmanuel Macron défend une ligne politique  fondée sur la partition amis-ennemis affirme la philosophe proche de la France insoumise, invoquer la santé et l’hôpital public pour imposer cette vision effarante de la politique aura été l’une des opérations les plus perverses de ce quinquennat. Et Barbara Stiegler de s’intéresser à la notion de « consentement libre et éclairé » qui s’est imposé nous dit-elle comme clé de voute de l’éthique biomédicale inscrite dans la loi Kouchner « relative aux droits des patients et à la démocratie sanitaire ». Un moyen selon elle, de compenser l’asymétrie entre patient et médecin. Un consentement ajoute-elle, qui ne peut être libre que s’il est recueilli sans chantage, ni pression psychologique afin de s’assurer qu’il ne soit pas extorqué. Une manière de s’assurer, je cite, de ne « jamais conditionner l’accès aux soins à l’acceptation du traitement proposé ». Et pour Barbara Stiegler c’est tout cela qui est ébranlé par le pass sanitaire et le pass vaccinal lorsque poursuit-elle tous les sujets appelés à consentir ne sont plus considérés, par principe, comme des sujets rationnels, aptes à délibérer sans qu’aucun tuteur ne puisse édicter à leur place le bien commun. 

Mais alors quelle place laisser au doute en période de crise sanitaire ? Où placer le curseur de la raison face à certaines théories conspirationnistes ? Philosophie magazine propose quelques éléments pour comprendre « l’épidémiologie des représentations » dans un riche entretien avec le philosophe Dan Sperber, spécialiste de psychologie cognitive.  Avec le covid analyse Dan Sperber, la diffusion du virus s’est accompagnée d’une diffusion de représentations, de fantasmes, mais aussi d’une multiplication de recherches, d’articles, de débats. Bref, il y a une épidémiologie du virus, une épidémiologie des idées sur la maladie et de la recherche médicale et une épidémiologie de la mise en pratique de cette recherche.

Et le philosophe de prévenir : La raison n’est pas cette instance surplombante qui nous assurerait, à chacun dans son coin, une voie royale vers la vérité. Politiquement, la décision qui émane d’une délibération publique et collective est souvent plus juste que celle qui se fonde sur une expertise secrète et autoritaire. C’est peut-être là l’une des leçons à tirer de la pandémie du Covid.

Par Mattéo Caranta

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