Quelle mémoire pour le massacre sanglant du 17 octobre 1961 ?

17 octobre 1961, les forces de police jettent à la Seine de nombreux Algériens, lors d’une manifestation pacifique organisée par le FLN
17 octobre 1961, les forces de police jettent à la Seine de nombreux Algériens, lors d’une manifestation pacifique organisée par le FLN - Jean Texier / L'Humanité, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
17 octobre 1961, les forces de police jettent à la Seine de nombreux Algériens, lors d’une manifestation pacifique organisée par le FLN - Jean Texier / L'Humanité, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
17 octobre 1961, les forces de police jettent à la Seine de nombreux Algériens, lors d’une manifestation pacifique organisée par le FLN - Jean Texier / L'Humanité, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
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Alors qu’Emmanuel Macron est attendu à 15h30 sur les berges de la Seine pour commémorer le massacre sanglant du 17 octobre 1961, nous revenons sur les enjeux qui entourent la mémoire de son soixantième anniversaire...

12 000 personnes raflés, plus de 150 morts par balles ou noyés, des centaines de blessés : en cette fin de semaine, plusieurs journaux laissent une large place de leurs colonnes « idées » aux massacres du 17 octobre 1961 dont la commémoration se superpose cette année avec les un an de l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty. Des pages où l’on rend hommage à un autre historien, Jean Luc Einaudi que le journal Le Monde qualifie de « héros moral »,celui qui je cite, réussit, à force d’acharnement, à exhumer de l’oubli une tuerie unique dans l’histoire contemporaine de la France » . 

Car comme l’analyse Emmanuel Blanchard dans le même journal, c’est avant tout une bataille contre l’oubli qui a marqué la mémoire de cette manifestation à l’appel du FLN. L’auteur d’une Histoire de l’immigration algérienne en France insiste sur le mensonge d’Etat qui a commencé selon lui dès le matin du 18 octobre par la dénégation des victimes et l’imputation des violences aux manifestants. Une dénégation médiatique, judiciaire puis « archivistique » selon ses mots, et l’historien de raconter l’augmentation d’algériens anonymes dans les registres d’inhumation des cimetières parisiens à l’automne 61. Des « X-FMA » pour Français Musulmans d’Algérie qui apparaissent également dans un non-lieux judiciaire relatif à des corps repêchés dans la Seine...  

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Dans l_’humanité qui consacre un cahier spécial au 17 octobre, l’historien Jim House insiste_ :  « Cette répression ne relève en rien d’un accident de conjoncture ou d’une forme de « bavure » d’une police qui aurait été débordée » . L’historien anglais, auteur de Paris 1961, précise, en se référant au Préfet de la Seine d’alors, Maurice Papon : l’objectif était le contrôle total de populations considérées comme dangereuses pour la survie de l’Etat. Les méthodes consacrées en situation coloniale – descente de nuit, tortures, punition collective, déportation- ont été transférées et pratiquées en métropole. Le 17 octobre entre dans l’histoire des répressions coloniales. 

Une répression et une impunité organisée par l’Etat et sur lesquelles Emmanuel Macron est très attendu cette après-midi...  

Oui, et comme le racontent dans un article très minutieux Sarah Diffalah et Nathalie Funès dans l’Obs, le Président de la République a multiplié les gestes de réconciliation depuis son arrivée au pouvoir. En atteste selon elles la reconnaissance de l’Etat français dans la mort du mathématicien Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel en mars 1957. « Oui  mais », remarquent les deux journalistes, « le dossier de l’Algérie s’est révélé plus compliqué à gérer que prévu pour Emmanuel Macron, à l’extérieur comme en politique intérieur ». Mini crise diplomatique ce mois-ci suite à ses questionnements sur l’existence de la « nation algérienne », levée de boucliers à droite contre l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon. « Avec l’Algérie, le credo macronien du « en même temps » atteint vite ses limites, concluent Sarah Diffalah et Nathalie Funès, même au sein de la majorité_. _

Alors Emmanuel Macron fera-t-il du 17 octobre 1961 une journée de commémoration nationale comme le préconise le rapport Stora sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie rendu en janvier dernier ?

C’est en tout cas ce que souhaite Sos Racisme et un ensemble d’organisations qui publient une tribune collective. « Nous avons la conviction qu’il est de la responsabilité du chef de l’Etat d’œuvrer à ce que la société française soit au rendez vous de cette histoire » analyse les signataires qui listent une série de demandes parmi lesquelles « une reconnaissance des responsabilités concrètes », « l’ouverture aux historiens des archives encore inaccessibles » ou encore « la mise en place d’un plan de réparations pour les victimes ». « 60 après » concluent ces responsables d’associations anti-racistes, de syndicats étudiants et lycéens, « il est temps pour nos dirigeants de faire preuve de maturité face à cette répression, ce qu’elle révèle et qu’elle continue de charrier ». 

Dans la revue Esprit du mois d’Octobre, Emmanuel Laurentin s’intéresse aux refoulés de l’histoire et à la politique mémorielle d’Emmanuel Macron...  

Une analyse large de la question mémorielle, de la question de la restitution des œuvres d’art à celle du Rwanda, en passant par l’Algérie. Notant l’ambition du Président de « s’affranchir des vieux clivages » à travers une « paix des mémoires », notre ami producteur du Temps du Débat sur France Culture note que « l’Algérie demeure bien la plus grande question mémorielle à régler. « Mais l’histoire de n’écrit pas seulement avec des déclarations solennelles » avertit Emmanuel Laurentin . Celles-ci doivent être suivies d’actions concrètes et fortes pour aller jusqu’au bout du chemin. La mémoire d’un pays est la somme complexe de volontés antagonistes. Il poursuit : « C’est une arène qui offre un spectacle à ses citoyens mais aussi aux autres nations

Elle doit aujourd’hui s’ajuster aux soubresauts des enjeux mémoriels venus d’ailleurs et prendre acte du fait qu’une partie de la jeunesse ne trouve plus ses référents historiques sur le sol national, mais dans des figures et des événements mondialisés... 

« Au point de se demander conclut Emmanuel Laurentin si la seule volonté d’un homme peut gouverner l’inattendu, les irruptions du passé dans notre présent, et maîtriser les injonctions contradictoires de mémoires réactivées. » 

Par Mattéo Caranta