Le déclin

Beaucoup décrivent notre société comme en déclin. Quelle place la philosophie peut-elle encore prendre pour penser notre monde ?
Beaucoup décrivent notre société comme en déclin. Quelle place la philosophie peut-elle encore prendre pour penser notre monde ? ©Getty
Beaucoup décrivent notre société comme en déclin. Quelle place la philosophie peut-elle encore prendre pour penser notre monde ? ©Getty
Beaucoup décrivent notre société comme en déclin. Quelle place la philosophie peut-elle encore prendre pour penser notre monde ? ©Getty
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Crise de la vente des sous-marins à l’Australie, échec sur la fabrication d’un vaccin contre la Covid-19, chômage de masse, la société française est régulièrement décrite comme “en déclin”. Mais peut-on vraiment parler de déclinisme ou de déclin ? S’agit-il d’une obsession ?

Dans l’hebdomadaire le 1, deux hauts fonctionnaires deux essayistes en débattent et dressent un tableau très sévère de l’état de la France. Une France qui, selon Nicolas Baverez, est totalement déclassée. Produit Intérieur Brut, production, industrie, pouvoir d’achat, qualités des services publics, chômage structurel, perte de son influence à l’international, autant de preuves chiffrées du déclin pour l’avocat qui s’inquiète également, je cite, de ““l’extrême polarisation et la désintégration de la société” . Un jugement sans appel que l’essayiste David Djaïz modère un peu sans en contester les fondements, le déclin français se sauverait in extremis selon lui grâce à notre solide appareil de solidarité qui continue d’assurer une véritable unité républicaine. 

Nicolas Baverez et David Djaïz lancent les pistes de ce qui pourrait sauver la France de cette chute quasi-inévitable. Il faut, selon eux, rebondir face à l’obsolescence du système de décision public et d’impuissance de l’État. Pas de fatalité donc et plutôt que déclin, précise David Djaïz, “je préfère parler de langueur et de malheur”. 

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Comprendre le malheur français, c’est justement l’objet de la dernière parution de Marcel Gauchet qui s’inquiète dans Marianne d’un autre déclin, celui du sentiment collectif, un individualisme renforcé par la crise sanitaire. “L’épidémie, explique le philosophe, a encouragé une “forte privatisation des rapports sociaux, en partie, et paradoxalement, parce qu’on a pu compter sur un système public extraordinairement protecteur. Un État social qui a permis aux individus de mener leur vie dans leur coin, dans l’indifférence de la chose publique.

Un petit bonheur privé pour échapper au grand malheur collectif. 

Et dans son dernier hors-série , Philosophie magazine plaide pour ce qui fait le collectif : la parole. 

À quelques mois de l'élection présidentielle, le magazine lance un plaidoyer contre le déclin de la parole et de la rhétorique au profit de la communication et de l’affrontement verbal.

Ainsi la philologue Barbara Cassin regrette-t-elle le manque d’une “parole partageable” face aux multiplications selon ses mots de l’écrit déglingué, et à son détournement dans la communication, la publicité et les discours politiques. L’Académicienne propose une parole attentive à elle-même et à celle des autres, une parole qui découvre ce qu’elle est en train de dire sans crainte du tâtonnement des idées. 

Quelques pages plus loin, c’est le professeur de rhétorique Philippe Joseph Salazar qui déplore le déclin de la parole politique en démocratie. Une parole confisquée par l’éloquence et les éléments de langage et qui manque d’enjeux selon le philosophe. La communication dit-il, ne cherche pas à proposer une nouvelle solution. Elle se contente de faire passer une information de la manière la plus agréable possible. Elle impose un message”

Alors que peut la philosophie pour affronter tous ces déclins ? C’est la question vertigineuse que se pose le philosophe allemand Jürgen Habermas dans l’Obs. 

“Le dernier grand philosophe” comme le décrit l’hebdomadaire, répond aux questions de Michaël Foessel et Marie Lemmonnier. Et il se demande si l’on peut encore produire une philosophie capable de défendre la raison, si celle-ci peut encore contribuer à l’idée que se fait une société d'elle-même et du monde. Comment faire, à l’heure des sciences et de leurs sur-spécialisation, à l’heure de la révolution numérique, pour penser un “tout”. Pour Jürgen Habermas, les bases morales de la philosophie jouent encore un rôle majeur dans la légitimation des principes sur lesquels repose l'exercice du pouvoir politique. “et c’est précisément en des temps de régression politique comme le notre, ajoute le philosophe, que ce rôle se révèle éminemment précieux. 

La philosophie comme remède au déclin politique ou du déclinisme en politique. 

Car comme le rappelle le politiste Vincent Martigny dans le 1, s'il y a bien une chose qui ne décline jamais, c’est le nombre de ceux qui, de siècle en année, prospère en dénonçant la décadence.

Par Mattéo Caranta