

Le 21 décembre, le Conseil d'analyse économique a rendu un rapport sur l'héritage et la concentration des richesses en France. Une thématique dont se sont emparés les candidats à la présidentielle, parfois en contre pied des économistes...
Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus
Les mots de Beaumarchais qui dénonce dans Le mariage de Figaro le privilège de l’héritage résonnent dans plusieurs tribunes cette semaine, alors que de nombreux candidats ont fait des propositions sur la question. A droite Valerie Pecresse propose de défiscaliser les dons, à gauche la tendance est à l’impôt progressif voire, pour Jean-Luc Mélenchon, au plafonnement des sommes héritées à 12 millions d’euros.
Et si la fiscalité des successions se trouve dans le débat public depuis quelques jours, c’est parce que plusieurs économistes ont tiré la sonnette d’alarme. D’abord à travers un rapport commandé par l’Elysée en 2020, puis une étude publiée par l’OCDE en mai dernier et enfin un rapport du Conseil d’Analyse Économique rendu le 21 décembre. Ces publications sont unanimes : le phénomène de concentrations des richesses s’est particulièrement accéléré au cours des 30 dernières années. Alors faut-il taxer plus ou moins les héritages ? Y-a-t-il un impôt juste sur la transmission ?
Dans le figaro, Olivier Bertaux s’indigne contre les droits de succession qu’il juge « confiscatoire ».
Pour ce fiscaliste, membre de l’association Contribuables Associés qui milite pour la baisse des impots, l’impôt sur l’héritage va « à l’encontre du droit de propriété, fragilisent les familles et démantèle des entreprises ». Il faut au contraire selon lui favoriser « les transmissions anticipées du patrimoine » pour je cite « dynamiser l’économie » et ainsi freiner les effets négatifs du vieillissement de la population.
Une vision plus ou moins partagée dans les mêmes pages par un autre candidat à la présidentielle, Gaspard Koenig. Le philosophe libéral qui centre son programme autour de la simplification bureaucratique dénonce un « système complexe qui ne profite qu’aux initiés ». Pour lui, il faut se défaire des obligations sociales de la famille pour laisser plus de place à la volonté individuelle. « Pourquoi, un ami fidèle ne pourrait-il pas recevoir sa part dans les mêmes conditions qu’un fils ingrat » se demande Gaspard Koenig.
« Notre société s’est séparée d’elle-même »
Les chiffres de concentration du patrimoine révélé par ces études désignent avant tout une crise morale : « nos sociétés redeviennent héréditaires et sont dominées par une idéologie du succès, aussi fausse que mortifère » note le haut-fonctionnaire qui décrit un système de reproduction sociale où les élites issues des grandes écoles se marient entre elles, bénéficient de hauts revenus, surinvestissent dans l’éducation de leurs enfants créant ainsi je cite, une “machine inégalitaire inarrêtable”. « Notre société s’est séparée d’elle-même » poursuit-il, les riches et les pauvres ne se croisent quasiment jamais. Frédéric Salat-Baroux, conclut : « On ne peut pas laisser se recréer une société d’héritier alors que, dans le même temps les obstacles à la réussite deviendraient infranchissables ».
Dans l’Obs, l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem dénonce l’hypocrisie actuelle d’imposition de la transmission du patrimoine et rappelle des chiffres : 10 % des héritiers les plus riches concentrent plus de 50 % des héritages, et le barème fiscal des successions ne s’appliquent presque jamais en raison des divers abattements. Vouloir exonérer les donations pour Najat Vallaud-Belkacem, « c_’est en revenir à une logique d’enrichissement dynastique, figer la société dans ses injustices et creuser les lignes de fractures inégalitaires du monde »_
L’enjeu du débat poursuit-elle, est de se prononcer sur la société que nous voulons construire, sur son degré d’acceptation des inégalités de destin, sur sa promesse d’émancipation par l’école et le travail. Un débat où le clivage gauche droite trouve tout son sens pour l’ancienne Ministre de François Hollande.
Qu'est que transmettre veut dire ?
Et dans libération, la philosophe Elsa Godart se demande elle ce que transmettre veut dire. Elsa Godart plonge dans l’étymologie du mot : transmettre relève du passage de quelque chose d’une personne à une autre. Au fond pour elle, le sujet de la transmission, c’est le lien, la passation d’une vie dans l’autre, un rappel de notre situation, entre ceux qui furent, et ceux qui deviennent. Il y a donc pour la philosophe autre chose que la matérialité dans l’héritage, et s’y réduire reviendrait à renier sa dimension affective. Dans un contexte où le lien à l’autre est la première victime des grandes crises contemporaines que l’on traverse (crise numérique, sanitaire ou crise du libéralisme), ne pouvons-nous pas espérer un peu de profondeur dans le débat ? Regrette Elsa Godart qui avertit à propos de transmission : il serait dommage de transmettre à nos enfants un débat politique centré autour de la seule question de l’argent.
Du grain à moudre alors que nous commémorons cette semaine les 20 ans de la disparition de l’auteur des Heritiers, Pierre Bourdieu, qui voyait dans l’héritage culturel le vecteur de reproduction des hiérarchies sociales.
Par Mattéo Caranta
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