Retour ce matin sur les nouveaux enjeux stratégiques mis en relief par les sommets qui ont eu lieu ces derniers jours : G7, OTAN et Europe-États-Unis...
« America is back »
« L’Amérique est de retour », c’est avec cette formule que Joe Biden a voulu signifier la réconciliation à ses alliés après les quatre années de méfiance réciproque représentées par le mandat de Donald Trump. Des « retrouvailles transatlantiques » sous l’égide d’un nouvel enjeu stratégique déclaré, la Chine, malgré les réticences française et allemande notamment.
Selon le diplomate Maxime Lefebvre qui signe une tribune sur la plateforme Telos, le « grand réalignement transatlantique est plus fragile qu’on ne croit. » D’abord, analyse-t-il, « parce que le rapport de force au sein de l’alliance s’est modifié au bénéfice des États-Unis », notamment en terme de dépense militaire et en matière diplomatique. Ensuite, poursuit le professeur en questions internationales à Sciences Po, « parce que le centre de la confrontation géopolitique est désormais en Asie, où les européens ne peuvent faire que de la figuration stratégique ». Troisième élément fissurant le bloc occidental pour le chercheur, l’accession de la Chine au premier rang de l’économie mondiale : « si le total de l’économie du camp occidental démocratique était dépassé par les pays non occidentaux, le monde pourrait connaître un effet de bascule et l’ordre libéral pourrait se disloquer ». Enfin, dernier élément, la puissance du courant illibéral dans le camp occidental, en Hongrie, en Pologne, avec les mouvements populistes en France ou en Italie ou avec le Brexit. Le retour du nationalisme comme un frein dans l’affrontement idéologique entre « démocratie et mondes autoritaires » pour Maxime Lefebvre. Un conflit illustré par l’opposition Chine/Etats-Unis dans la logique dite du « piège de Thucydide » rappelle le diplomate, ou l’emballement inévitable d’un conflit armé lorsque qu’une puissance se sent mise en danger par la montée d’une autre.
Un défi militaire
S’ajoute donc un défi militaire, analysé par Mahaut de Fougières sur le site de l’Institut Montaigne. Pour la chargée d’études aux questions internationales du think tank réformiste, « le contexte stratégique, je cite, est marqué un par retour de la puissance militaire ». Et l’analyste constate une augmentation globale des dépenses de défense de 91% depuis les vingt dernières années. Elle précise : « On assiste en particulier à la montée en puissance militaire d’États qui remettent en cause le statu quo international établi depuis la fin de la Guerre froide ». Avec en premier lieu la Chine, désignée comme défi systémique à l’issu du sommet de l’OTAN ce lundi. Mais Mauhaut de Fougières de citer également « l’agressivité renouvelée de la Russie » ou « l’implication croissante de la Turquie en Méditerranée orientale », un contexte qui invite l’Europe et la France à investir davantage dans sa sécurité et un enjeu pour la prochaine élection présidentielle française de 2022 conclut Mahaut de Fougères sur le site de l’Institut Montaigne.
Et le correspondant en chef du journal Politico en Europe David Herzenhorn s’inquiète également de l’état militaire des puissances européennes pour faire face aux défis stratégiques à venir. « Trump reprochait aux Européens d’être radins, le problème de Biden, c’est qu’ils sont faibles » affirme le journaliste qui cite un rapport du think tank Center for American Progress : « les forces européennes ne sont pas prêtes à se battre avec l’équipement en leur possession. Leurs hélicoptères ne sont pas prêts à voler, leurs bateaux à naviguer, et leurs véhicules à rouler ». Selon le journaliste, si la France et le Royaume-Uni conservent des armées opérationnelles, le reste de l’Alliance Atlantique et de l’Europe de l’Est se reposent encore trop sur le parapluie militaire américain face à la Russie, alors que les États-Unis tournent leurs investissements de défense vers la Chine. Selon le rapport cité par David Herzenhorn, seule l’intégration militaire européenne, appelée de ses vœux par la France, serait à même d’en faire un partenaire viable…
Un nouvel âge de la mondialisation ?
Et dans le journal Le Monde, Pascal Canfin propose une autre approche aux défis que pose la Chine dans ce qu’il décrit comme un « nouvel âge de la mondialisation »...
Oui dans une très longue tribune publiée dans le journal Le Monde, le président de la commission environnement du Parlement européen dessine son modèle d’une « mondialisation du progressisme », unique voie selon lui « si nous voulons échapper à la montée des nationalismes autoritaires et aux conséquences délétères d’une démondialisation non coopérative ». Après une description des éléments de souveraineté publique, fiscale, monétaire budgétaire et climatique qui permettent l’avènement d’un nouveau progressisme, Pascal Canfin l’affirme : l’heure d’une révolution industrielle a sonné, celle de l’économie zéro carbone. Seulement voilà, pas de nouveaux progressisme sans coopération, en particulier avec la Chine. Le député européen s’interroge, « Quelle forme de coopération internationale peut-on imaginer avec une telle puissance ? » Et il répond : « Quels que soient nos désaccords, une forme de « realpolitik climatique » impose de sécuriser l’espace de coopération avec la Chine comme sur le sujet fiscal et commercial ». Le président de la commission environnement fait le pari qu’autant pour des raisons de politiques internes sur la qualité de vie que pour le « leadership industriel et la bataille des normes, des technologies et des brevets, la Chine ne pourra pas rester à l’écart d’une dynamique portée ensemble par l’Union européenne et les États-Unis ». Pascal Canfin conclut : « dans la géopolitique mondiale, c’est à l’Europe qu’il revient d’écrire cette nouvelle page ».
Un moyen peut être, d’éviter le piège de Thucydide.
Par Mattéo Caranta
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