

L'écrivain italien Roberto Saviano s’insurge contre la politique migratoire du nouveau gouvernement italien, tandis que les droits de l'Homme sont en déclin analyse Jean-Marc Huissoud. Enfin en Turquie un vote demain pour sauver la démocratie.
Le Monde publiait une longue tribune en exclusivité hier. Un manifeste engagé autant qu’une analyse implacable, signé Roberto Saviano l’écrivain et journaliste mondialement connu pour ses enquêtes sur la mafia.
"En ces jours comme jamais, écrit Saviano, je me sens comme un fleuve en crue qui doit expliquer pourquoi on ne peut laisser du temps à ce gouvernement qui a déjà causé trop de mal".
Et ce mal ne vient pas de nulle part. "Salvini est en train de mettre en œuvre la méthode Minniti" explique-t-il. Du nom de ce penseur politique et membre du Parti Démocrate, Marco Minniti, qui proposait une politique proche de celle de la ligue, justement pour l’éloigner du pouvoir. L’année dernière Minniti avait été le premier à vouloir fermer les ports aux ONG.
Tout cela a préparé le terrain à ce qui se joue aujourd’hui. Point de stupeur donc, mais une « infinie amertume » écrit Saviano.
Pour lui la guerre qui se joue n’est pas pour ou contre la fermeture des frontières. Et de ce point de vue l’épisode de l’Aquarius a été "un piège" dit-il. Le piège de la division avec "d’un côté ceux qui prétendaient donner une leçon à l’Europe et de l’autre ceux qui estimaient qu’on ne pouvait pas instrumentaliser 630 âmes pour obtenir des négociations".
La réalité, c’est que "tant qu’il y aura des personnes pour vouloir quitter l’Afrique en l’absence de moyens légaux il y en aura d’autres pour leur prendre leur argent et les y conduire". C’est pourquoi selon lui il faut cesser de verser des fonds à la Libye pour qu’elle retienne les migrants. Une politique "inefficace et criminelle.
Quant aux responsables européens, "ils feraient mieux de se taire plutôt que de lancer des insultes par calcul. Car lorsque des vies humaines sont en jeu, le calcul n’est que cruel cynisme".
Quelle place nos sociétés accordent-elles encore aux droits humains ? C’est aussi la question qu’on pouvait se poser cette semaine suite au retrait des Etats-Unis du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU
"Le déclin des droits de l’Homme, un mouvement qui vient de loin" analyse le chercheur Jean-Marc Huissoud sur le site The Conversation. Ce professeur en relations internationales parle d’un affaiblissement de la norme des droits de l’Homme depuis les années 80.
En cause notamment "l’influence croissante de la Chine, de la Russie et de l’Inde dans les négociations".
Et le réveil d’une vieille critique de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : "celle d’un texte qui véhiculerait une vision occidentale, colonialiste, ignorante des réalités et des valeurs sociales en dehors de l’Europe et de l’Amérique du Nord".
On peut aussi y voir, poursuit Jean-Marc Huissoud, une certaine "usure du temps".
« Ecrit en réponse aux abus de l’absolutisme monarchique, le texte est aujourd’hui interprété à l’aune exclusive de l’individualisme moderne, déviant de plus en plus de sa signification première ».
Bref, les Etats-Unis « n’ont fait que prendre un train déjà lancé ».
L’Europe prendra-t-elle le relais dans la défense du projet onusien ? Rien n’est moins sur dit le chercheur qui lui aussi, fait le constat des démocraties européennes en crise où les populismes prospèrent.
Dès lors écrit-il, le véritable défi ne serait-il pas, « non pas de défendre coûte que coûte les principes des droits de l’Homme, que de re-questionner leur signification, de les adapter aux contingences contemporaines, de reconstruire un consensus sur leur sens pour le monde moderne et celui à venir ? ».
En Turquie les électeurs sont appelés à voter demain pour les élections présidentielles et législatives. Une campagne verrouillée par le régime mais une chance, peut-être, de sauver la démocratie..
Allez voter ! c’est le message de l’intellectuel turc Ahmet Insel à ses concitoyens dans le journal Cumhuriyet à lire dans Courrier International. Car malgré les pressions, malgré l’inégalité flagrante entre le pouvoir et l’opposition, rien n’est joué pour Ahmet Insel. Evitons surtout d’affirmer que Erdogan ne partira jamais, même en cas de défaite car cela revient en fait à renforcer sa domination.
"Il est temps de dire non !" titre de son côté le journal Sözcü dans un édito publié par Courrier International. Sözcü est un quotidien turc, d’obédience kémaliste au ton non seulement très libre mais surtout très critique.
"L’AKP a commis trop d’abus dénonce le journal", qui rappelle la corruption des dirigeants, la main-mise sur la presse et les procès infligés aux opposants.
Mais ce que dénonce le journal c’est aussi, je cite, « la perte de l’innocence ». Parce que tout est politisé désormais jusque dans les moindres détails peut-on lire. Le bien, le mal, le vrai, le bon, ne sont plus bon ou vrai que si le pouvoir dit qu’ils le sont ».
C’est pourquoi, veut croire le journal, ce 24 juin nous avons une occasion historique, « de revenir à des jours heureux ».
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