Aux premières lueurs de l'aube sont apparues des correspondances entre l'effondrement politique contemporain et des rivalités historiques passées.
"Correspondance" pas du tout au sens épistolaire du terme, mais au sens baudelairien… au sens du sonnet Correspondances dans les Fleurs du Mal… que vous connaissez par cœur Guillaume… et je dirais même plus… au sens presque synésthésique du terme… il faut pour ça que je vous dévoile un peu la coulisse de cette revue de presse quotidienne…
J’arrive chaque matin, je récupère les journaux disséminés un peu partout dans le couloir de France Culture par mes petits camarades farceurs ici présents en studio et en régie dont je maintiendrai, bien malgré moi, l’anonymat… n’est-ce pas Guillaume… et je me plonge dans la lecture de la presse… dans une sorte d’immersion dont va se dégager, plus ou moins vite, un sens, un fil rouge, des schémas qui se répètent et que me permettent de structurer ma narration…
Ce fil rouge est souvent assez évident, il se détache et apparaît clairement… et puis il y a des matins comme aujourd’hui où il est beaucoup plus souterrain… où il reste flou, trouble jusqu’à très tard… jusqu’à ce que d’un coup, la correspondance… la synesthésie surgisse à l’endroit où on s’y attend le moins…
Voilà donc comment je commençai ma lecture ce matin par l’édito de Cécile CORNUDET dans les Echos… édito intitulé « La malédiction de l’Elysée », et qui postule ceci : « On les croyait en tout points opposés, ils se sont affrontés sévèrement et, pourtant, quelque chose en fait aujourd’hui des frères politiques. Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE sont liés par l’Elysée, que ce soit aujourd’hui ou dans le passé, et à ce titre largement empêchés. »
Cécile CORNUDET détaille ensuite comment les deux hommes, anciens ennemis intimes, se retrouvent finalement dans une situation quasi-similaire : « plus d’autorité, plus de marge de manœuvre, des sondages en berne. Et une incapacité commune à répondre à la demande d’union nationale qui émane de l’opinion. (…) Plus d’un an avant le scrutin présidentiel, (…) la menace d’une primaire perturbe la légitimité du sortant à se représenter. Elysée maudit, qui n’a jamais été autant convoité », conclut l’éditorialiste.
Bon, le point de vue a le mérite d’être assez pertinent, l’analyse assez amusante… mais un peu las de commenter jour après jour les soubresauts de la classe politique française, eux-mêmes auscultés comme un patient gravement malade par une cohorte de médecins espérant chacun trouver un symptôme invisible qui lui permettrait d’établir un diagnostic original, mais contraints finalement de rabâcher sans cesse la même prescription… je me dis que ce matin, je vais faire l’impasse et m’autoriser un dégagement au large…
C’était sans compter sur le cahier culturel du Figaro
Oui c’était ma dernière lecture du matin… j’avais commencé à structurer cette revue de presse en un aller/retour entre le numéro spécial de l’Humanité, intitulé « Casse du code du travail/Opération vérité » - le quotidien publie l’intégralité du rapport BADINTER sur la réforme du Code du travail… et d’autre part la pleine page du Figaro sur l’assurance chômage, axée autour de cette question : « La France est-elle trop généreuse avec ses chômeurs »… article plutôt à charge, mais qui rappelle néanmoins que le régime de droit commun est équilibré, et que le système de calcul journalier de l’indemnisation est, je cite, « d’une grande flexibilité pour l’employeur »… mais qu’il y a un certain nombre de failles, identifiées, qui plombent les comptes de l’Unedic… et notamment les régimes spécifiques de l’intérim et de l’intermittence…
Cette approche comparée était, me semble-t-il, fort édifiante… jusqu’à ce que je tombe, donc, sur cet autre article… attention, vous allez grincer des dents… « MOZART et SALIERI, ennemis mais pas trop »…
Et là, je suis saisi de plein fouet par ces « longs échos qui de loin se confondent/dans une ténébreuse et profonde unité »… et dieu sait qu’elle est ténébreuse pour rapprocher HOLLANDE et SARKOZY de MOZART et SALIERI… mais écoutez plutôt…
« Une partition retrouvée le mois dernier à Prague, à laquelle les deux compositeurs ont collaboré, conforte l’idée que leur rivalité a été largement exagérée »… ça commence à vous apparaître ?
Thierry HILLERITEAU nous raconte, dans son article, comment sur cette partition de la cantate « Per la ricuperata salute di Ofelia », composée en 1785 et récemment retrouvée donc, MOZART a signé 36 mesures, signature apposée à celle de son éternel rival devant l’Histoire… Antonio SALIERI, qui « selon la légende, aurait même empoisonné l’auteur du Requiem ».
Or l’article raconte comment, malgré la rivalité certaine entre les deux compositeurs… il n’est pas du tout improbable qu’ils aient composé à quatre mains cette partition, « pour la santé retrouvée d’Ophélie »… Ophélie étant ici Nancy STORACE, cantatrice en vogue a qui était destiné le rôle d’Ophélie dans la Grotta di Trofonio de SALIERI, création retardée à cause d’une maladie contractée par la chanteuse.
« Et la rivalité n’est pas la haine, explique Thierry HILLERITEAU. Et n’empêche pas de collaborer (…) et il n’y a rien d’étonnant à ce que des compositeurs se mettent à [plusieurs] pour offrir à une chanteuse en vue un cadeau pour son rétablissement. » Le musicologue Ivan ALEXANDRE ose même une comparaison avec la modernité : « Voyez les guerres de succession à la tête des institutions culturelles parisiennes. Imaginez ce que ça pouvait être à Vienne à l’époque. »
Je reprends maintenant l’incipit de l’édito de Cécile CORNUDET « On les croyait en tout points opposés, ils se sont affrontés sévèrement et, pourtant, quelque chose en fait aujourd’hui des frères »… vous la voyez mieux la synesthésie là ? Oui ? à ceci près que l’on a d’un côté la médiocrité politique, et de l’autre le génie créatif. Concluons donc par ce dernier…
« SALIERI a-t-il une chance de sortir de son purgatoire, se demande l’article pour conclure. Le grand public mettra-t-il encore longtemps à se souvenir que ce maître compositeur forma, entre autres élèves, BEETHOVEN, SCHUBERT, LISZT ? La présente cantate aidera peut-être à faire comprendre que MOZART a sans doute involontairement tué SALIERI, bien plus que ce dernier a assassiné MOZART. »
Et c’est bien là la limite intrinsèque à ce sentiment de correspondance qui m’a étreint aux petites lueurs de l’aube… si MOZART est mort avant de pouvoir achever son Requiem, nos deux chefs de l’Etat, actuel et passé, à force de petits calculs et d’arrangements avec la réalité, sont certainement en train d’écrire, jusqu’à la dernière mesure et à quatre mains, le requiem de la politique française. Da capo.
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