Le choc des couleurs

France Culture
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Un mot revient dans la presse ce matin, "le choc" qui s'affiche en Une de l'Humanité et du Figaro. Le vote FN, symbole du retour du politique ? Et quelques considérations de colorimétrie.
S’il y a un signe, une preuve tangible ce matin que le pays dysfonctionne gravement, que les repères politiques sont abolis, que rien ne va plus sur l’échiquier politique, en somme… c’est bien celui-ci : le Figaro et l’Humanité ont la même Une.

Marine Le Pen, dimanche soir avant son allocution
Marine Le Pen, dimanche soir avant son allocution
© Reuters

« Le choc » ! Et il n’y a pas que la Une qui est similaire… si on lit attentivement les deux éditos, signés respectivement Alexis BREZET et Patrick APEL-MULLER… et titrés « Vent de colère » et « Paysage sinistré »… eh bien on trouve peu ou prou le même début d’analyse… je me suis donc permis de me livrer à un petit exercice de commentaire comparé que je vous livre ici-même…

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« Des craquements sinistres se font entendre dans l’échafaudage de notre République, écrit Patrick APEL-MULLER dans l’Humanité. Si l’abstention a un peu reculé (…) un électeur sur deux n’a pas voté, affichant sa défiance. De ces urnes trop désertées, le Front National émerge en tête avec le fatras de haine, de stigmatisation et de libéralisme qu’il charrie. »

Pour Alexis BREZET : « C’est une colère qui vient de loin. Une colère froide, brutale, sans nuance ni merci. (…) Pour s’exprimer, elle a emprunté tour à tour le chemin d’une abstention galopante et celui du désaveu systématique de toutes les majorités sortantes, mais le vote Front National est depuis toujours sa plus spectaculaire expression. »

Alors ensuite, évidemment, les solutions divergent un peu… vous vous en doutez… mais on retrouve cette analyse partagée, et ce constat d’impuissance dans de nombreux éditos ce matin… avec cet autre élément central, comme l’écrit également Alexis BREZET : « l’évidence est là : la France politique est désormais divisée en trois tiers, et l’avènement de cette tripartition – forcément instable dans un système présidentiel où le tour décisif se joue entre deux concurrent – va bouleverser la donne. »

C’est également le point de vue de Nicolas BEYTOUT dans l’Opinion : « Pensée pour une confrontation entre deux blocs traditionnels, la droite et la gauche, nos institutions avaient jusqu’ici favorisé le dialogue et l’alternance. Ce temps est révolu. »

Et de fait, « ses scores spectaculaires dans le Nord et en PACA notamment, mettent clairement le Front National en position de l’emporter, même en situation de duel avec la droite, analyse Guillaume TABARD dans le Figaro. Dès lors, il faut cesser de considérer le vote FN comme un simple vote défouloir, un simple mouvement de protestation. Les électeurs qui le choisissent le font désormais en connaissant cette possibilité de victoire. Ils ne veulent plus seulement adresser un avertissement sans frais aux partis dits traditionnels ils veulent, de manière délibérée, essayer une option radicalement autre. »

« Le FN est-il pour autant assuré d’enfoncer le clou dimanche prochain ? s’interroge Michel KLEKOWICKI dans le Républicain Lorrain. Rien n’est acquis et c’est bien là la particularité de ces Régionales 2015 : elles risquent de se jouer hors des urnes à coup d’alliances et de savants calculs. Défaire par des accords électoraux ce qui a été esquissé dans les urnes ? L’exercice est risqué. Très risqué même. En gagnant par la petite porte la bataille des régionales, Les Républicains et le PS placeraient une lourde hypothèque sur les combats à venir : la présidentielle de 2017. »

Et cette victoire hier du FN serait le retour du politique

Oui, de façon assez contre-intuitive… on a beaucoup entendu, depuis des mois, voire des années que le vote FN était un vote de rejet de la classe politique dans son ensemble… de la pensée politique même… la preuve en est le statut « à part » du parti d’extrême droite, tout aussi touché par les affaires judiciaires ou les déchirements internes que les autres partis… mais sans que cela ne se répercute sur ses scores électoraux.

Or, il y a dans Libération ce matin une interview de Nicolas LEBOURG, qui explique assez bien cela… d’abord, que le nationalisme prôné par le parti des LE PEN, dans un contexte très anxiogène lié aux attentats, et à l’afflux des réfugiés en Europe, n’est pas du tout ressenti comme un discours de haine, mais un discours d’unité… préserver le « nous » face à « eux, les autres »… « Voter pour l’extrême droite représente pour ces électeurs un changement de vie, un espoir »… Nicolas LEBOURG qui explique également que, au contraire d’un rejet du politique, le vote Front National « ramène les gens aux urnes, en pour et en contre. Ce n’est pas un dégoût de la politique, mais un retour. Et le parti d’extrême droite est devenu un des derniers instruments de l’intégration sociale. »

Et c’est exactement ce qui ressort du discours d’une électrice du Front National en Moselle, Valérie, 50 ans, auxiliaire de vie, qui s’exprime dans le Parisien, et qui dit « Je vais être honnête, je vote FN. C’est le seul pouvoir qu’on a. »

« C’est le seul pouvoir qu’on a. » Valérie et son fils, Flavien, ont donc voté Front National. Flavien a 18 ans hein… le jeune homme photographié dans La Croix, lors du meeting de Marine LE PEN a Nîmes ne doit guère en avoir plus… Chez les 18 30 ans… le Front National fait 34%... c’est 5 points de plus que la moyenne nationale…

Et pour conclure Nicolas… quelques considérations de colorimétrie

Oui, face à tout ça, ça va certainement vous paraître anecdotique… mais il me semble que ça dit inconsciemment pas mal de chose sur la façon dont le Front National bouleverse nos représentations du champ politique… et en l’occurrence, celles de la presse…

Vous savez, sur les petits histogrammes, les graphiques électoraux qui fleurissent un peu partout dans les journaux au lendemain d’élections… il y a des codes couleurs. Des codes couleurs assez simples, qui varient peu, pour représenter les différents partis… Le PS, c’est rose, la droite, c’est bleu, le centre c’est bleu clair, les écolos, c’est vert, les communistes, c’est rouge… etc.

Eh bien le FN… ça n’est pas clair du tout.

Si dans Le Parisien, il est bleu marine… somme toutes logique… dans Libé, il est noir… noir, le mal… les heures sombres… même choix dans l’Humanité où là, c’est carrément le brun qui est choisi… dans les Echos, c’est un vert un peu kaki… et dans le Figaro… c’est un violet fuchsia… c’est intéressant le fuchsia… c’est un mélange de bleu et de rose…