**par Thomas Baumgartner **
‘Une question ce matin : c’est quoi l’histoire ?’
C’est quoi l’histoire ? C’est quoi le sujet ? Bonne question. Prenons un exemple. C’est l’histoire d’un homme qui quitte son île et part loin, et longtemps en mer. Il y croise pas mal de monde, dont des sirènes. Et pendant ce temps-là, sa femme fabrique une tapisserie en l’attendant… En voilà une histoire… Il y a aussi par exemple l’histoire de ces deux amoureux à Vérone, que leurs familles respectives empêchent de se voir… Il y a l’histoire, le sujet (celle de L’Odyssée, ou de Roméo et Juliette) Et puis il y a tout le reste qui fait tout… Voilà ce qu’on comprend en lisant le texte de Gérard Mordillat dans Le Monde diplomatique de janvier qui vient de paraître. « Le romancier ou le cinéaste est désormais sommé de répondre avant tout à l’unique question : ‘Quel est le sujet ?’ » L’œuvre, le style, la manière versus le « sujet ». Voilà la question de Mordillat, lui-même cinéaste et romancier, et par ailleurs membre de la troupe des Papous du dimanche sur France culture. Et, selon lui, la critique nourrit la tendance, qui veut préférer le sujet à la manière. « Petit à petit, les critiques ont renoncé à déterminer la chose réelle – à lire les romans pour ce qu’ils sont, à voir les films tels qu’ils sont réalisés – et sont vendus au sujet, oubliant la littérature et le cinéma. » Il poursuit : « Le ‘sujet’ a pour avantage fondamental de dispenser de mesurer les enjeux narratifs, stylistiques, grammaticaux d’un livre, son invention lexicale, ou l’invention visuelle, sonore, d’un film… L’ouvrage, réduit à l’anecdote, est ramené à elle comme un fugitif entre deux gendarmes ». Et pour quelles raisons, selon Gérard Mordillat (dans cette dernière page du Monde diplomatique) ? « La rentabilité, d’abord ». « La crise pousse les investisseurs à se replier sur des valeurs sûres ou réputées telles ». Deuxième raison, plus étonnante peut-être : « La peur de l’exclusion et de la solitude », écrit-il, « qui influe profondément sur les habitudes des spectateurs comme des lecteurs ». « Tous désormais veulent voir le même film, et acheter, sinon lire, le même livre, faire la queue à la même exposition… Non par amour du cinéma, du théâtre, de la littérature ou de la peinture, mais pour avoir le sentiment consolateur d’appartenir toujours à la communauté nationale (…) et d’avoir un ‘sujet’ à partager avec ses semblables ». « Dès lors », conclut Mordillat, « la curiosité devient dangereuse, le style menaçant et toute singularité, le symbole même de la solitude redoutée ». Cette variation sur le « sujet » des œuvres et notamment cette conclusion paradoxale, où on apprend que l’art peut être le ciment d’une République défaillante, tout en donnant l’air de le déplorer c’est à retrouver donc dans Le Monde diplomatique de janvier. (Le débat serait prometteur)
‘Et soudain : illustration du propos !’
Avec un film. « Gaz de France », qui sort le 13 janvier. Et qui fait l’objet d’un long article dans le dernier numéro de la revue Sofilm… Sofilm qui prend d’une certaine manière le relais du magazine Première du milieu des années 90 dans le genre revue de cinéma, drôle, ironique et raccord avec son époque… Gaz de France, donc c’est le premier « vrai » long-métrage du réalisateur Benoît Forgeard, avec Philippe Katerine dans le premier rôle. Celui du président Bird, qui a « sans doute succédé à François Hollande en 2022, mais on ne le dit pas clairement dans le film ». Benoît Forgeard explique que : « Le Président Bird marche un peu un côté de ses pompes, et qu’il n’est pas forcément au top de sa popularité. »
« C’est quelqu’un qui n’a été élu ni sur un programme, ni sur une compétence particulière. Juste sur une chanson : ‘La Rigueur en chantant’. Et après tout pourquoi pas… » Et dans ces quelques mots du réalisateur, cité par Jean-Vic Chapus dans son article, on voit qu’il y a bien un « sujet », pour parler comme Gérard Mordillat. Mais on comprend aussi, qu’il y a un certain style. Et même une réelle invention. Style qu’on trouve aussi dans une des photos qui illustre l’article dans les tons ocres et taupe, avec un rien de vintage, comme on dit pour ne pas dire « à l’ancienne ». Il faut dire que Sofilm a accompagné Philippe Katerine, chanteur et comédien, et Benoît Forgeard, à la recherche des fantômes de la mittérandie terrienne, à Château Chinon, dans la Nièvre, et même à l’Hôtel du Vieux Morvan, où s’était installé François Mitterrand et son entourage le 10 mai 1981 et où il a appris qu’il était élu. Nous voilà donc entre fantômes de 81 et anticipation foutraque de 2022. Déception, d’abord, dans le reportage : la chambre 15, occupée par Mitterrand a été refaite. « Il y a quand même des conduites d’eau », remarque Philippe Katerine, « des robinets et des poignées qui ont l’air d’origine. » « Je fais toujours très attention à ce genre de détails », dit Katerine. « Faut savoir que je suis assez fétichiste sur les robinets et les poignets de portes ». A la vérité, le duo Forgeard-Katerine, en reportage à Château-Chinon ne trouve pas le fantôme de Mitterrand. Quelques traces rares, quelques paroles locales un peu lassées. On pourrait croire qu’on tente de dire au lecteur qu’il y aura plus à comprendre de nous de notre époque dans la fiction politique dada Gaz de France que sur ce terrain dont l’histoire nous est présenté comme trop ressassée. Dernières lignes de l’article de So Film. Passage à Sermages, village présent sur l’affiche de 1981, La Force Tranquille… Forgeard demande à son acteur : « Et si Mitterrand avait fait campagne en 2015, Philippe, tu imagines quel slogan on lui aurait trouvé ? » Réponse de Philippe Katerine : « La Force tranquille, c’est devenu has-been. Par contre un truc comme ‘Tranquille, la force’, ça peut le faire »…
‘Il y a une autre histoire de président. Cette fois à retrouver dans We Demain ?’
Une autre histoire de président et d’anticipation, d’ailleurs… Le revue We Demain, qui est allée rencontrer un candidat à la présidence des Etats-Unis. (2016 : c’est une année présidentielle aux Etats-Unis, on le sait). Et derrière les grands candidats, il y en a toujours de plus modestes, attachés parfois à une cause spécifique… C’est le cas de Zoltan Istvan, candidat « transhumaniste ».« Persuadé qu’on peut vaincre la mort biologique d’ici 25 ans, ce journaliste californien a créé le parti transhumaniste et il milite pour l’avènement de l’homme-robot », écrit Cyril Fiévet. « Il sillonne en ce moment les Etats-Unis à bord d’un ‘bus de l’immortalité’ ». S’il devient président, il veut par exemple « allouer l’essentiel des budgets militaires à la recherche scientifique ou à des bourses permettant à toutes les personnes handicapées de disposer d’exosquelettes robotiques »… Il compte aussi « transformer les usines qui fabriquent des bombes en laboratoire de recherche médicale ». « Les gens sont de plus en plus ouverts aux idées transhumanistes », dit-il. « Mais cette évolution est très liée à l’élargissement de la population non-religieuse. Si vous êtes religieux et que vous croyez à une vie après la mort, vous n’avez pas vraiment besoin du transhumanisme ». Eh oui… Et là, aux Etats-Unis, il y a un tabou… C’est Dieu qui encore donne la foi. « Après un président noir et, peut-être bientôt, une femme locataire du Bureau oval pour la première fois », un athée à la Maison Blanche ?, écrit Fiévet avec un point d’interrogation. Zoltan Istvan y crois et « entend bien préparer le terrain ». Il avoue par ailleurs son réel principal objectif aujourd’hui : « obtenir un poste dans la prochaine administration, ‘si possible en tant que conseiller de la Maison Blanche en matière de sciences et de technologies’ ». « Les années 60 étaient caractérisées par la paix, l’amour et les drogues », déclare-t-il à We Demain. « La prochaine décennie sera celle de la réalité virtuelle, des implants et du transhumanisme » Et il conclut : « Si vous me demandez de couper mon bras biologique pour le remplacer par un bras robotique, je le ferai volontiers, si ce dernier apporte des améliorations.J’ai hâte de devenir un jour une machine qui ne mourra jamais et pourra constamment être mise à jour avec de nouvelles technologies ». On se dit en lisant Istvan qu’il n’est peut-être pas si loin le moment où les ailes de géants du goéland ne l’empêcheront plus de marcher… Zoltan Istvan déclare qu’il va voter démocrates, et si la présidence ne lui est objectivement pas à portée de main on pourrait donc le retrouver dans les équipes exécutives du prochain mandat. C’est ce qu’on comprend en lisant We Demain.
Bonne journée et bonne année !
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