

Spleen baudelairien et catégories aristotéliciennes : deux filtres de lectures de la presse du jour.
« Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,/Et que de l'horizon embrassant tout le cercle/Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits »
Et oui, c’est l’air du temps, le spleen baudelairien, impossible d’y échapper… même les plus aguerris de vos éditorialistes y cèdent ce matin… tenez, prenez le Parisien qui titre, sur la photo d’une petite fille en ciré kaki, les bottes roses qui détonnent dans une étendue de pluie de la même couleur que son imperméable… sous le titre « Inondations : il ne manquait plus que ça »… le journal prévient que « la dépression qui balaie la France doit durer jusqu’à vendredi ». On parle bien de la dépression météorologique… pas du spleen… quoi que le doute est permis… même Jean-Marie MONTALI dans son édito cède à une mélancolie toute baudelairienne… « un monde gris sous un ciel aussi bas qu’une galerie de mine, et des pluies diluviennes qui noient le moral aussi sûrement qu’elles inondent une partie de la France… » (pour peu, on chercherait presque une prosodie et une versification en 12 pieds).
A défaut d’alexandrins, les pieds eux sont bien dans l’eau. Dans l’eau de pluie, qui conduit également Etienne de MONTETY à un certain lyrisme dans son billet dans le Figaro, citant non pas BAUDELAIRE mais madame de SEVIGNE : « nous avons eu ici des pluies continuelles, et au lieu de dire « après la pluie vient le beau temps », nous disons « après la pluie vient la pluie ». (…) Aurait-elle sur nos existences un empire tel qu’elle y ferait ce qu’elle veut – cette pluie, s’interroge le billettiste : pour ainsi dire la pluie et le beau temps ? Elle a le pouvoir d’abattre le moral en tout cas, car elle vient après d’autres calamités nommées grèves et manifestations, et qui, elles aussi, tombent dru, ces temps-ci »
Et il n’y a pas que les manifestations et la pluie qui tombent dru…
Et non, il y a aussi ce que la presse appelle, comme les Echos : « les cadeaux de HOLLANDE ». Le chef de l’Etat se transforme en père Noël avant l’heure… (il ne manquerait plus qu’il neige) : « enseignants, intermittents, l’Etat multiplie les gestes pour circonscrire les conflits et préparer 2017 » sous-titre le journal. C’est ce que la plupart des éditorialistes qualifient ce matin de « revendications catégorielles » : Guillaume GOUBERT dans la Croix : « Le gouvernement satisfait des revendications catégorielles pour apaiser la contestation ». Nicolas BEYTOUT dans l’Opinion : « on sait déjà que la loi Finances élaborée à l’automne se résumera à un exercice d’arrosage catégoriel ». Ou encore Hervé CHABAUD dans la Montagne, qui explique que le gouvernement « lâche du lest sur les revendications catégorielles en cajolant le bataillon de la gauche dans la fonction publique, les enseignants ».
C’est intéressant, ce mot, « catégoriel »… Je vous refais un petit topo sur « catégorie » ? Vite fait ? Bon… les Catégories, c’est surtout et avant tout le principal traité d’Aristote… dans lequel il développe les racines de son ontologie… notamment les fonctions du langage… la catégorie étant le mode d’accusation de l’être… d’accusation au sens des différentes façons de signifier, de désigner ce qui est. La catégorie est donc, ontologiquement, ce qui nous permet de « parler contre », de différencier, de structurer le réel en somme.
On pourrait résumer à grands traits que les catégories, c’est ce qui nous permet d’ordonner le désordre… et me voilà revenu à ces revendications catégorielles que le gouvernement abonde… pour tenter d’ordonner le désordre. Mais à quel coût. C’est cette question plus que les questions ontologiques qui taraude la plupart de vos journaux ce matin. Pour les Echos, le coût des mesures sectorielles va bondir en 2017. Bercy chiffre les dépenses nouvelles à 4 milliards d’euros pour 2016. Tandis que pour la Croix, les « concessions budgétaires consenties par François HOLLANDE depuis le début de l’année s’élèvent environ à 7 milliards d’euros. »
Il faut admettre que la liste de ces catégories est longue comme un jour sans pain (on verse dans du ZOLA maintenant)… « Les enseignants, les jeunes en attente d’un emploi, les chômeurs en formation, les chercheurs, la SNCF, les intermittents, les gendarmes et les policiers, les fonctionnaires du bas de l’échelle, chaque jour voir s’accélérer la belle braderie », estime Nicolas BEYTOUT dans l’Opinion. Qui lui aussi a sorti sa calculette : « cette ouverture en grand des vannes budgétaires est pernicieuse : elle engage la signature de l’Etat bien au-delà de 2017. (…) Et la quasi-certitude qu’il sera battu l’an prochain permet à François HOLLANDE de regarder les conséquences budgétaires de ses cadeaux avec un détachement qui confine au cynisme : ce n’est vraisemblablement pas lui qui aura à assumer toutes ces impasses avec l’argent public. »
Parce que de l’argent, il va falloir en trouver pour financer tout ça.
Eh bien à ce propos, deux pistes se détachent dans vos journaux ce matin… première piste : le recouvrement de l’ISF d’Emmanuel MACRON. C’est le Canard et Médiapart qui sortent l’info… « ne pas payer l’impôt de solidarité sur la fortune, cela vous pose un jeune ministre de gauche. Et cela estompe un peu l’image du banquier, associé-gérant chez Rotschild ». Le ministre des finances aurait donc sous-évalué son patrimoine et viendrait d’être redressé sur trois ans… « dans l’entourage de MACRON, précise le Canard, on déploie aujourd’hui des trésors de persuasion pour expliquer que « le ministre n’a pas été victime d’un redressement fiscal. Il a fait spontanément une déclaration fiscale rectificative ». Pour un montant de rattrapage inférieur à 10 000 euros, selon Médiapart…
Alors vous allez me dire, ce n’est pas avec 10 000 euros en plus que l’Etat va pouvoir payer tous ses cadeaux dits « catégoriels » et vous aurez bien raison… C’est pour ça que des sénateurs LR ont trouvé une autre piste… c’est l’Humanité qui le rapporte : les grands élus de droite ont déposé une proposition de loi qui vise à lutter contre « la fraude aux prestations sociales », une fraude qui représente 613 millions d’euros.
« Pas un mot en revanche sur un autre type de fraude sociale, la fraude aux cotisations sociales, écrit Pierre DUQUESNE, qui représente entre 20 et 25 milliards par an de manque à gagner. Rien sur la fraude fiscale – encore elle – qui s’élève à 70 milliards d’euros par an. Non, leur obsession aux sénateurs LR, c’est de « contrôler le train de vie » des allocataires du RSA qui vivent avec 524,68 euros par mois. » « Qu’on débatte de telles mesures, stigmatisantes envers les plus pauvres, et qui divisent les Français, c’est désolant, déplore Laurent SEUX du Secours Catholique. Cela révèle combien notre système politique est malade. »
« Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,/Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,/Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,/Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »
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