

Divorce à l'anglaise : la séparation douloureuse du Royaume-Uni de l'Union Européenne est un divorce sur plusieurs strates.
C’est une sorte de psychodrame de couple qui se joue ce matin dans les pages de vos journaux… comme un lendemain de rupture, passé le choc et la violence d’une séparation brutale, on ressasse, on examine, on décortique ce qui a conduit à cet état des choses… à ce divorce à l’anglaise… parce que c’est bien d’un divorce dont il s’agit, si l’on en croit plusieurs éditorialistes ce matin… « Même après ce désolant Brexit, le Royaume-Uni sera toujours l’un des principaux pays d’Europe et il serait sage de ne pas l’oublier en succombant aux passions vengeresses d’un divorce pour faute, écrit Jean-Dominique MERCHET dans l’Opinion. Cette tentation existe à Paris ou à Bruxelles, où l’on rêve de rompre au plus vite les amarres avec Londres. Il convient d’y résister. »
Alexis BREZET ne dit pas autre chose dans son édito du Figaro. « Messieurs les anglais, tirez-vous sans traîner ! Au lendemain du divorce voulu par une majorité du peuple britannique, il semblerait que les dirigeants européens – France en tête – n’aient rien de plus urgent que de chasser du domicile commun ces pelés, ces galeux par qui le scandale arrive. (…) Outre qu’elle est singulièrement mesquine, cette logique punitive, qui se voudrait dissuasive à l’égard de tous ceux qui, à travers l’Union, rêvent d’imiter les Anglais, n’est évidemment pas à la hauteur de l’événement. La crise gravissime que traverse l’Europe ne se résoudra pas dans les invectives ou les représailles. »
C’est également l’humeur d’Alain REMOND dans son billet dans La Croix : « Soyons francs, écrit-il, notre première réaction a été de dire : vous voulez nous quitter, eh bien faites-le, débrouillez-vous tout seuls, bon débarras et ne venez pas pleurer après. Sauf que, en réalité, ça nous fait un sacré pincement au cœur. (…) C’est peut-être idiot de le dire au moment du divorce, mais il faut bien que quelqu’un leur dise : on vous aime les Rosbifs. Oui, parfaitement, on vous aime. Vous allez nous manquer. »
Et pour Daniel SCHNEIDERMANN, dans Libération… il ne s’agit pas seulement d’un divorce avec la Grande Bretagne… c’est un divorce beaucoup plus large, et plus douloureux que cela… « Divorce, c’est le mot qui vient tout de suite tant on perçoit que cette apocalypse dépeinte par BFM n’est pas seulement politique et financière, mais aussi familiale, affective, et avec tout ce qu’elle comporte de joies malsaines, et de reproches rétrospectifs. Non seulement un divorce, mais un divorce qui se passe mal. On se sépare dans la douleur et les cris, au point qu’on est presque surpris d’entendre HOLLANDE assurer que nous continuerons de travailler avec ce grand pays ami, qui nous adresse ce doigt d’honneur si éloquent. »
Or, pour Daniel SCHNEIDERMANN, « sous ce divorce immédiatement lisible, s’en cachent peut-être quelques autres »… et notamment un divorce avec le suffrage universel. « Le Brexit ne peut pas gagner en 2016. Marine LE PEN ne pourra pas l’emporter en 2017. Cela ne peut pas arriver, il y aura toujours un plafond de verre, un garde-fou, quelque chose. Le suffrage universel ne peut pas commettre ces bêtises-là, jamais. Papa ne peut pas faire de mal à maman. Normalement. Jusqu’à ce que l’Histoire nous tombe dessus. »
Pourtant, avant le divorce, il y a déjà eu de grosses engueulades
Oui, comme le rappelle Alexis BREZET dans le Figaro : « Un peuple a dit non. [Mais] avant les anglais, il y avait eu les Danois (en 1992 et 2000), Et les Irlandais (en 2001 et 2008). Et les Suédois (en 2003). Et les Français (en 2005). Et les Hollandais (en 2005 aussi). Et les Grecs (en 2015)… Au point qu’on se demande, après tant de rebuffades, comment les dirigeants européens ont pu être surpris quand « l’impossible » est arrivé. »
C’est le même constat qui conduit Bernard STEPHAN, dans la Montagne, à se poser la question suivante : « Y aura-t-il un second référendum ? C’est peu probable. Même si l’histoire récente démontre l’inverse. En 1992 le Danemark rejette le traité de Maastricht, il l’adopte en 1993. En 2011, l’Irlande dit non au traité de Nice, elle l’approuve en 2002. En 2008, l’Irlande désapprouve le traité de Lisbonne, elle dit oui un an plus tard. Il est commun de considérer que ceux qui ont dit non ont voulu adresser un avertissement. (…) On voit mal comment, sauf à faire dans la demi-mesure inefficace, on n’irait pas vers un nouveau traité pour refonder l’Union. Et comment faire valider un tel texte autrement que par référendum, sauf à se couper à jamais de l’Europe du peuple ? »
Et cette notion de refondation, elle traverse vous vous en doutez une large partie de la presse du jour… Ainsi Patrick LE HYARIC dans son édito dans l’Humanité constate que « après les rejets exprimés dans les référendums grecs, néerlandais et français, le vote anglais signifie que la coupe est pleine ! Il bat en brèche la thèse selon laquelle l’intégration européenne serait irréversible. (…) La refondation progressiste et écologique de la construction européenne à partir des aspirations populaires et démocratiques est donc posée avec force. (…) L’élaboration d’un nouveau projet européen coopératif et solidaire, autour d’une union de nations et de peuples associés, souverains et libres, doit devenir une exigence incontournable alors que tous ceux qui conduisent l’Europe au bord du précipice se contorsionnent pour que rien ne change. »
Dominique MOÏSI dans les Echos tire une leçon similaire… « La Grande Bretagne est moins que jamais une île, elle devient l’avant-garde, le porte-parole d’un ensemble, qui , de l’Europe aux Etats-Unis en passant par les Philippines, dit non, en vrac et de manière syncrétique, à la mondialisation et à ses élites, à la croissance des inégalités et à l’existence de l’Autre à ses côtés, comme une dimension incontournable de la réalité quotidienne. (…) Il ne s’agit pas aujourd’hui de punir la Grande Bretagne pour ce qu’elle a eu l’audace de faire : dire « non » à l’Europe. Il s’agit bien au contraire pour les dirigeants européens de se livrer à un examen de conscience nécessaire. Pourquoi avons-nous tous collectivement perdu la confiance de nos peuples respectifs et que pouvons-nous faire individuellement au niveau de nos nations respectives et collectivement au niveau de l’Europe pour regagner cette confiance ? (…) Le 23 juin 2016 ne restera pas dans l’histoire comme le jour de l’indépendance de la Grande Bretagne, mais il peut rester comme le jour où l’Europe, sous le choc du révélateur britannique, s’est enfin réveillée, n’ayant plus d’autre choix que celui de se réinventer elle-même. »
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