Tchernobyl et les bobos

Des équipes de la centrale de Tchernobyl rendent hommage aux victimes
Des équipes de la centrale de Tchernobyl rendent hommage aux victimes ©Reuters - Gleb Garanich
Des équipes de la centrale de Tchernobyl rendent hommage aux victimes ©Reuters - Gleb Garanich
Des équipes de la centrale de Tchernobyl rendent hommage aux victimes ©Reuters - Gleb Garanich
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30 ans jour pour jour après le plus grave accident nucléaire de l'humanité, quel bilan pour l'énergie de l'atome, et surtout quelles perspectives dans le temps long ?

On dirait presque le titre d’un album de Tintin dit comme ça… Les bobos, ce ne sont pas les petites plaies, les petits bobos comme les cancers de la thyroïde provoqués par une exposition excessive aux radiations… mais bien les bobos, cette catégorie sociale qui honnit le nucléaire, et qui est-elle-même honnie… mais j’y reviendrai.

Commençons donc par Tchernobyl… 30 ans après… « Le 26 avril 1986, le réacteur 4 de la centrale Lénine, à Prypiat, à quelques kilomètres de la ville de Tchernobyl, dans l’actuelle Ukraine, explose au cours d’un test de sécurité, relate le Parisien. Evalué au niveau 7 sur l’échelle internationale des événements nucléaires, c’est le plus grave accident nucléaire jamais répertorié, le deuxième étant celui de Fukushima. Le nombre de morts attribuées à l’accident est très variable selon les comptabilités. L’ONU l’a estimé en 2006 à 9 000. Mais selon l’association Greenpeace, 90 000 personnes (10 fois plus) auraient perdu la vie des suites d’une irradiation due à la catastrophe. »

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30 ans après, c’est l’heure des comptes – pour l’ONU, citée par l’Humanité, qui chiffre le coût total de la catastrophe de Tchernobyl à plus de 1000 milliards de dollars… et également pour Libération… qui titre, précisément, « Tchernobyl, l’heure des comptes », et qui explique comment du Japon à l’Ukraine en passant par la France, le coût humain et financier ne cesse de croître. « Au-delà du coût humain et environnemental, le nucléaire a un coût financier exorbitant. Il se chiffre à plus de 1000 milliards de dollars pour l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie. Plus de 1500 milliards pour le Japon… Un seul accident grave en France (non majeur) reviendrait à 140 milliards de dollars a minima, prédisait en 2012 l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire », explique l’article.

Mais ça ne s’arrête pas là, sortez votre calculette : « si l’on se penche sur la seule évolution des dépenses d’investissements et de maintenance, elles explosent depuis 10 ans : 100 milliards d’euros entre 2014 et 2030, soit 1,7 milliard en moyenne par réacteur, estime la Cour des Comptes pour la seule France, championne du monde de la production électrique d’origine nucléaire par habitant. »

Mais dites-donc, c’est pas un peu bobo de débiner comme ça l’énergie nucléaire

Ne bougez pas, j’y arrive. En tout cas, malgré ces données incontestables et incontestées sur le nucléaire – les chiffres de l’ONU n’étant pas ceux d’une micro-ONG d’écolo-gauchistes énervés ou de bobos radicaux (vous voyez on y arrive) – il reste des irréductibles défenseurs de l’atome, comme Gaëtan de Capèle dans le Figaro, dont l’édito est intitulé « L’énergie de la raison », et qui rappelle que : « La France peut se prévaloir d’une indépendance énergétique que beaucoup lui envient (…) et que, avec son savoir-faire technologique, ses dizaines de milliers d’emplois et ses capacités d’exportation, le nucléaire constitue une filière d’excellence exceptionnelle. » Bref, « la France – contrairement à l’Allemagne qui a décidé d’arrêter le nucléaire du jour au lendemain – a toujours eu la sagesse de suivre une politique de raison ». Et l’éditorialiste se félicite de cet « heureux consensus de fait entre droite et gauche, (…) y compris avec François HOLLANDE qui, malgré ses promesses aux Verts, s’est bien gardé de chambouler ce subtil équilibre. Tant mieux ! »

Et en effet… comme le rappelle Jean-Francis PECRESSE dans son édito dans les Echos… « La transition énergétique n’aura pas lieu. Du moins pas d’ici à la fin de ce quinquennat. En repoussant, hier, à 2018 au plus tôt, le choix, par EDF, des centrales nucléaires appelées à être fermées pour laisser les énergies renouvelables monter en puissance, le chef de l’Etat a enterré, sans l’assumer, sa grande promesse électorale faite aux écologistes : ramener à 50% en 2025 la production d’électricité d’origine nucléaire. »

Alors, peu importe finalement que « le président de l’Autorité de sûreté nucléaire estime qu’un « accident nucléaire majeur ne peut être exclu en France », comme le souligne Ouest France. La filière nucléaire, et EDF au premier chef, soulagée pour le moment, « ne le cache pas : [elle] attend avec impatience que les pouvoirs publics donnent leur feu vert à la prolongation des centrales de quarante à soixante ans. (…) Elle sait que le temps joue pour elle, pariant qu’un changement de majorité pourrait rapidement changer la donne. »

Et le temps, du court termisme au très long terme… c’est toute la question que nous pose l’énergie atomique… comme l’explique très Galia ACKERMAN dans l’Huma. Galia ACKERMAN qui a arpenté pendant 20 ans la zone interdite de Tchernobyl et qui a rassemblé dans un livre, « Traverser Tchernobyl », les témoignages qu’elle a recueillis. Selon elle, le drame de Tchernobyl « a perturbé l’idée de la linéarité du temps. On conçoit le temps comme s’écoulant à une vitesse unique. Là, plusieurs temps sont confrontés. Celui de l’accident qui, en une seconde et demie, a bouleversé la planète. Et celui des conséquences, qui s’étire vers l’infini. L’exemple le plus parlant est celui de la ville de Prypiat, contaminée au plutonium. (…) Sa demi-vie est de 24 000 ans. Il faudra 240 000 ans pour qu’il soit complètement désagrégé. C’est quelque chose d’inimaginable à l’échelle humaine. »

La poésie des zones sinistrées, pour le coup c’est complètement bobo.

Ok ok ok… vous avez gagné. Etre contre le nucléaire, pour les énergies renouvelables, quand on est un jeune actif urbain, qui plus est qui travaille dans l’audiovisuel, c’est pas seulement être « bobo »… c’est être un « sale bobo ».

Et oui, parce que comme l’explique avec humour et une pointe d’acidité Eric SENABLE dans Libération, « Le bobo est devenu l’homme à abattre des politiciens de droite. Sa seule présence dans un lieu, dans un rassemblement, un mouvement suffit à y porter le discrédit ». Eric SENABLE tente donc une réhabilitation du bobo, en notant par exemple que « les bobos, dans leur majorité, n’habitent certainement pas des lofts luxueux. Outre leur visite au Naturalia, ils passent leur temps à courir après le fric que les non-bobos leur doivent (tout en leur crachant dessus dès que l’occasion se présente). (…) Alors, bourgeois ? Allez dire ça à ma banquière. »

« C’est vraiment grave tout ça ? se demande Eric SENABLE. On mérite vraiment des coups de caillasses pour aimer la culture et manger sainement ? » « On ne dit jamais « bobo » avec bienveillance : c’est toujours « sale bobo » que l’on sous-entend. Eh bien vous savez quoi, conclut Eric SENABLE ? Les bobos vous emmerdent. Oui, entre deux relances de l’URSSAF (parce qu’on met six mois à nous verser 2000 euros pour un travail qui en vaut 6000), entre les deux concerts qu’on pourra s’offrir dans l’année, on vous emmerde. » C’est Eric SENABLE qui l’écrit.

Moi je ne vous emmerde pas. Je vous fais des bisous. Et je vous dis à demain.

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