C’est aujourd’hui le 300ème anniversaire de la mort de Louis XIV, mais aussi la rentrée des classes… Alors tentons une passerelle entre le célèbre portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, et les portraits individuels d’écoliers qui accompagnent la traditionnelle photo de classe. Que partagent donc ces écoliers avec Louis XIV, en dehors du fait que certains d’entre eux se comportent parfois en enfants-rois ?
Ils ont d’abord en commun de poser pour un portrait qu’on pourrait dire « officiel ». C’est en 1701, à l’âge de 63 ans, et alors qu’il est déjà très malade, que Louis XIV commande au peintre Hyacinthe Rigaud ce portrait de lui en costume de sacre que l’on a tous en tête, et qui fait aujourd’hui partie des collections du Musée du Louvre. Sur la toile, il apparaît bien plus jeune que son âge, comme si le temps ne pouvait, ne devait pas avoir de prise sur la figure du monarque absolu qu’il souhaite ici incarner pour l’éternité. Debout, très droit, légèrement de ¾, la jambe gauche en bas de soie blanc dégagée vers l’avant, Louis XIV pose en perruque et en habits de cour avec tous ses regalia (à savoir le sceptre, la couronne, ou encore la main de justice…). Hyper lisible dans le message de pouvoir serein, de royauté éclatante qu’il délivre, ce portrait réalisé par Hyacinthe Rigaud est devenu une sorte de mètre étalon, non seulement pour les rois de France qui ont succédé à Louis XIV, mais aussi, d’une certaine manière, et bien plus tard, pour les portraits photographiques officiels de présidents de la République. Comme Louis XIV posant devant son trône et sa draperie de velours rouge, sur leurs portraits officiels, nos présidents, ne sont jamais loin de l’imposante bibliothèque de l’Elysée, quand ils ne posent pas dans le parc du Palais. Il faut relever cependant une exception, celle de Valéry Giscard D’Estaing immortalisé en 1974 par Jacques-Henri Lartigue devant un drapeau bleu-blanc-rouge en mouvement.**Mais qu’en est-il de nos écoliers ? ** Sur les portraits individuels que l’on fait d’eux le jour de la photo de classe, ils sont comme Louis XIV, ils posent, en général avec leurs attributs d’écoliers : des ardoises et des craies ; de gros jouets en plastique coloré pour les plus petits ; et surtout des cahiers; bien disposés sur le pupitre derrière lequel ils sont en général assis, les bras solennellement croisés. Mais par dessus tout, ce qui relie ces portraits d’écoliers avec celui de Louis XIV en costume de sacre peint par Hyacinthe Rigaud, mais aussi avec ceux de nos présidents, c’est le temps suspendu de la pose. Plus précisément, c’est le temps long de la pose figée.En prenant la pose au milieu d’un décor choisi, éclairé par une lumière travaillée, en restant figé dans une posture définie pendant une durée donnée, le monarque, le président et l’écolier, suspendent leur image dans un temps long. Or, comme le développait le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa dans son livre Accélération. Une critique sociale du temps paru en 2010 aux éditions de La Découverte, ce temps long nous est de moins en moins familier. Nous évoluons dans une ère d’accélération permanente, exponentielle, dans laquelle le temps arrêté, comme suspendu dans ces portraits posés, est de plus en plus rare. Spectateurs de ces portraits figés dans leur époque, nous sommes nous aussi obligés de décéléré, de ralentir pour bien en intégrer la profondeur, pour saisir la portée de leurs regards un peu lointains, car restés fixes pendant ce temps long. Le portrait de Louis XIV en costume de sacre peint par Hyacinthe Rigaud, comme les portraits d’écoliers ne tolèrent pas d’être frénétiquement balayés du bout du doigt par une « petite poussette » sur l’écran d’un téléphone portable. Pour les saisir, il faut les observer attentivement, lentement.
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