

Un patient travail de labour, un artisanat, un corps à corps avec la langue, un rapport à l'écriture qui confine à la schizophrénie ? Traduire est tout cela à la fois et bien plus encore. Rencontre avec deux grands traducteurs littéraires, Catherine Vasseur et Clément Baude.
- Catherine Vasseur traductrice
- Philippe Beck Poète et écrivain
- Clément Baude traducteur
Première partie. Entretien avec Catherine Vasseur
Catherine Vasseur est traductrice de l’espagnol, notamment de romans de Manuel Chaves Nogales (Quai Voltaire) ou de Manolo Vilas (Passage du Nord-Ouest), et d’Andrés Trapiello dont elle a traduit l'essai sur la littérature et la guerre civile, Les armes et les lettres (La Table ronde). Elle vient de traduire Automoribundia, l’autobiographie-fleuve de Ramón Gómez de la Serna (1888-1963).
Elle évoque sa vision de la traduction, qu'elle considère d'abord comme un labour du matériau du texte, avant un long travail corps à corps, dont elle a éprouvé la difficulté particulière au moment de la traduction des presque 800 pages d'Automoribundia, dont elle confie l'avoir traversée à la fois comme un interminable chantier et un "ring intéressant" :
Catherine Vasseur : Gómez de la Serna est un écrivain oublié parce que difficilement rattachable à notre actualité. Il est comme une espèce de monolithe tombé dans la littérature espagnole. Je me suis lancée sans avoir pris la mesure de la tâche : il y a un niveau de langue qui comporte beaucoup d’invention, des néologismes, des reprises de termes étrangers. Il y a chez cet auteur singulier une poétique à saisir qui requiert pour la transmettre toute une dimension d’écoute, de sentir. On sort très modeste d’une aventure comme celle-là. Un philosophe du XVIIIe siècle, Wilhelm von Humboldt, frère du célèbre naturaliste, a écrit qu’une traduction achevée n’est rien d’autre qu’une proposition parmi mille propositions potentielles. J’aime beaucoup cette citation parce que la notion du recommencement y est inscrite. La traduction, c’est l’écriture envisagée comme artisanat, comme travail, plutôt que comme littérature ou comme œuvre.
- Ramón Gómez De La Serna, 1888-1948, Automoribundía, traduit de l'espagnol par Catherine Vasseur, Quai Voltaire
Seconde partie. Entretien avec Clément Baude
Clément Baude a traduit (de l’anglais) des auteurs contemporains comme Irvin D. Yalom, Viet Thanh Nguyen, Dave Eggers ou encore William T. Vollmann. Il vient de signer la traduction d’Apeirogon, de Colum McCann (Prix du Meilleur Livre Étranger 2020).
L’invisibilité du traducteur, ce rôle de l’ombre me vont très bien. Je suis l’auteur d’Apeirogon mais, en mon for intérieur, je sais que ce n’est pas mon texte. Cela pourrait provoquer chez certains des conflits de personnalité ou de la schizophrénie mais moi cela me convient très bien. Je n’ai pas de velléité d’écrire, alors la traduction me permet une sorte de compromis. Quelqu’un a écrit le livre à ma place et je me glisse à l’intérieur. Le travail principal a été déjà fait, mais au bout du compte j’ai quand même écrit un livre, c’est très commode. Pour moi, la traduction c’est l’écriture pour les paresseux !
Clément Baude
- Colum McCann, Apeirogon, traduit de l'anglais par Clément Baude, Belfond
Le message de Philippe Beck
On se souvient qu’autrefois, dans les paquebots et les cargos, de magnifiques transmetteurs d’ordres en cuivre faisaient résonner les instructions de la passerelle jusqu’aux entrailles du navire.
Je souhaiterais adresser un message aux sirènes, c’est à dire à nous tous. Dans l’avertissement qu’elles délèguent de loin, une musique lancinante signale que les choses tournent mal. A n’importe quelle heure, tout se passe comme si chaque alarme secondaire désignait l’imminence de la catastrophe générale. Les sirènes, ces mélodies destinées à inquiéter le sommeil diurne, héritent étrangement du choeur homérique qui, de son chant délicieux, entraînait les équipages à la mort. Elles semblent destinées désormais à nous éviter la mort en brisant l’inconscience partagée. Le signe des sirènes s’est-il inversé ?
- Philippe Beck Traité des sirènes Le Bruit du Temps
Un caillou dans les poches
Farid ud-Dîn ‘Attâr est considéré par la tradition persane comme le génie du récit mystique. On ne sait presque rien de lui si ce n’est qu’il était attâr, c’est-à-dire apothicaire et parfumeur et qu’il vécut dans la seconde moitié du XIIe siècle à Nishapour, au nord-est de l’Iran actuel. Son texte le plus célèbre, La conférence des Oiseaux, est une allégorie mystique qui raconte comment trente oiseaux, conduits par une huppe, se mettent en quête du Simorgh, l’oiseau fabuleux, le roi de la gent ailée...
- Farid ud-Dîn ‘Attâr, La conférence des oiseaux (Manteq ut-Tayr), adaptation Henri Gougaud, introduction, traduction et annotation de Manijeh Nouri-Ortega, Points.
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