Une salle des machines sous le signe du mal, du crime, de la violence en acte, mais aussi de la douleur et de l’exil.
Première partie. Entretien avec Marie Ndiaye
Marie Ndiaye est romancière, autrice d’une quinzaine de romans parmi lesquels Quant au riche avenir (1985), Rosie Carpe (prix Femina en 2001), Autoportrait en vert (2005) ou Trois femmes puissantes (Prix Goncourt 2009), et dramaturge (Papa doit manger, Honneur à notre élue ou encore Royan, monologue écrit pour Nicole Garcia). Après La Cheffe, roman d'une cuisinière (2016) qui se passait déjà en terre girondine, Marie Ndiaye revient avec La vengeance m’appartient sur un terroir qu'elle connaît bien, celui des bords de la Garonne, entre Marmande et Bordeaux.
Je ne dirai pas que le territoire m’inspire mais il me faut ce degré de réalité du territoire pour que je puisse me figurer la vie et l’enfance de mes personnages. Mais pour le reste, ce qui m'amuse le plus est d’insuffler de l’incertitude dans mes romans. Parce qu'il me semble que souvent, dans nos vies, on n’est pas certains de ce que pensent de nous ceux qui nous entourent, ni de nos pensées à leur propos, encore moins de l’authenticité de nos souvenirs. Faire en sorte que l'on reste hésitant quant à la réalité de ce qui se passe dans le livre me semble finalement un principe de réalisme.
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Le titre du roman est tiré de la Bible, du Deutéronome, la citation exacte étant "La vengeance m'appartient, et la rétribution aussi." Un fantasme démiurgique animerait-il l'écrivaine ?
Marie Ndiaye : J’aime l’idée que Maître Suzanne, Gilles et Marlyne Principaux, qui sont des êtres ordinaires dans la France d’aujourd’hui, en province, aient l’air d’être soumis à une sorte de fatalité. J’ai parfois l’impression que mes personnages sont placés sous une Providence qui serait moi, que je veille sur leur destin comme je peux faire aussi que ce dernier soit terrible.
- Marie Ndiaye, La vengeance m’appartient Gallimard
Seconde partie. Entretien avec Justine Augier
Dans De l’ardeur (Actes Sud, prix Renaudot Essai 2017), Justine Augier retraçait le parcours de Razan Zaitouneh, avocate et dissidente syrienne enlevée en 2013, en même temps que Samira Khalil, l’épouse de Yassin al-Haj Saleh, intellectuel qui a passé 16 ans dans les prisons d’Hafez el-Assad. Les deux femmes n'ont pas été retrouvées à ce jour. Avec Par une sorte de miracle, elle retrouve cet homme dans son exil berlinois.
Justine Augier : Pour moi, Yassin al-Haj Saleh est celui qui a dit le mieux et la révolution syrienne et la trahison dont elle a été victime. Ce double écrasement, de sa beauté d'une part, et l’écrasement de l’écrasement, l’oubli que le monde a réservé à tout cela.
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Justine Augier évoque également au cours de cet entretien la façon dont la tragédie syrienne l'a renvoyée à des enjeux liés à sa propre citoyenneté européenne :
Justine Augier : Ce que j’essaie de raconter dans mon livre, c’est qu’on ne peut démêler cette histoire de la nôtre, que par de nombreux éléments, elle fait résonner l'histoire de l'Europe, les valeurs sur lesquelles on a tenté de construire quelque chose après la grande destruction de la Seconde Guerre mondiale. Et ce socle commun, il est aujourd’hui menacé par le renoncement de l’Union européenne à ses valeurs fondamentales, comme on l’a vu avec les déclarations d'Ursula von der Leyen, la présidente de la commission européenne, parlant de la Grèce comme d’un "bouclier". Ce qui est en jeu, c’est la nature même du projet européen. D’ailleurs, dans les entretiens que j'ai eus avec lui pour ce livre, Yassin al-Haj Saleh, qui est venu chercher en Europe de quoi éclairer la tragédie syrienne, finit par dire que la Syrie est notre futur. Il y a là un renversement auquel il faut prêter attention.
- Justine Augier, Par une espèce de miracle. L’exil de Yassin al-Haj Saleh Actes Sud
Le message de Jean-Luc Marty
On se souvient qu’autrefois, dans les paquebots et les cargos, de magnifiques transmetteurs d’ordres en cuivre faisaient résonner les instructions de la passerelle jusqu’aux entrailles du navire.
J’ai repris ma vie de quai et c’est de là que je t’écris, de cet entre-deux maritime dans lequel j’arrive comme on débarque en pays étranger. Chez moi. Ici les silences sont neufs bien qu’ils datent. Ils ont l’âge auquel on les aborde, ce que j’ai enfin fait. La vérité, Zé, c’est que de tous ces silences, et des vôtres là-bas, sous l’Equateur, je fais un roman. C’est à dire que je lance des phrases, je les déploie, les reprends, les ressers jusqu’à exhumer des bribes de chacun, de chacune, des éclats d’ailleurs introuvables sur une carte, ceux de ma mère, d’une fille aimée à la beauté ultime, et cet angle mort que je porte en moi, de toujours. L’autre soir, je marchais vers Keroman, passée la Glacière les mouettes braillent plus fort. Cette fois-là je ne les ai plus entendues, j’ai cru ne plus y être.
- Jean-Luc Marty, Une douleur blanche, Julliard
Un caillou dans les poches
En 1980, Nathalie Sarraute revient à ses premières amours en publiant L’usage de la parole, un recueil de textes brefs comme les Tropismes de ses débuts en 1939. Interrogations sur la puissance du langage et ses limites, L’usage de la parole s’ouvre par la fin – par les derniers mots, les ultimes syllabes prononcées en allemand par l'écrivain russe Anton Tchékhov, Ich sterbe : je meurs.
- Nathalie Sarraute, L'Usage de la parole, Ich sterbe, Editions des femmes
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