Marie Nimier, Béatrice Commengé, Dima Abdallah. Friches et territoires

Mettez des mauvaises herbes dans votre moteur...
Mettez des mauvaises herbes dans votre moteur... ©Getty -  Lingqi xie
Mettez des mauvaises herbes dans votre moteur... ©Getty - Lingqi xie
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Une salle des machines placée sous le signe des herbes, folles, mauvaises, urticantes, d'une passion ardente, de la nostalgie de l'enfance, des rues d'Alger dans les années 1950, des chemins romains et des cimetières abandonnés. Bref de tout ce qui nous relie, au risque de la brûlure parfois.

Avec

Première partie. Entretien avec Marie Nimier

Dans Les confidences, paru en 2019, Marie Nimier recueillait religieusement les confessions d’inconnus. En cette rentrée littéraire, elle publie le récit d’une passion brûlante, comme fouettée par des feuilles d’orties… Au micro de Mathias Enard, elle s'explique sur sa passion soudaine pour cette plante si commune, et d'ordinaire méprisée :

Marie Nimier : Pour écrire chaque livre, je pars souvent du double sens d'un mot. Cette fois, je suis partie d'une plante. "Fais attention aux orties !" je crois que c'est le premier nom de plante que j’ai entendu enfant. Alors je me suis dit qu'il fallait prendre l'injonction au pied de la lettre et aller y voir. A l’intérieur de l’ortie, j'ai découvert des poils-seringues, mais aussi du fer, de la vitamine C, etc. Et pendant que je regardais ça, les personnages se sont construits, c’est comme si plonger dans la plante les faisait grandir. Au contact des orties, les vaisseaux capillaires s’ouvrent, permettant au sang de circuler, alors le sang est devenu très présent dans le roman. Les orties ont aussi un aspect érotique, la peau est révulsée. Or je voulais écrire une histoire d'amour. Les orties, ce sont aussi des histoires de racines. Alors sont apparus deux personnages, Nora et Simon, très enracinés, dans leur ferme, avec leurs deux enfants, et a contrario, celui de Federica, la woofeuse, la voyageuse... Enfin, dernier point qui m'a fortement inspirée, c'est cette possibilité qu'a l'ortie de s’étendre à bas bruit, de coloniser d'abord la résidence secondaire des voisins de Nora et Simon... et jusqu'à ma vie quotidienne depuis que j'ai terminé l'écriture de ce roman ! Cette capacité d'expansion, je voulais l'articuler avec l’histoire des clôtures de barbelés. Avant, dans l’exploitation des parents, il y avait des barbelés parce qu’il y avait des animaux. Mais aujourd’hui Nora et Simon n’en ont plus besoin. D'un côté, les orties s’étendent à bas bruit, de l'autre on n’a plus besoin des barbelés. D'un côté, l'éloge de la fine brûlure de l’ortie, la brûlure du désir amoureux, de l'autre la violente déchirure du barbelé, mais qui n'est plus nécessaire. Les arracher vont permettre de repousser les frontières, de les penser différemment, ce qui me paraît être une question cruciale aujourd'hui.

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  • Marie Nimier Le palais des orties Seuil
Une vie d'artiste
59 min
  • Musique diffusée : Juliette Gréco, Le Pont Marie

Seconde partie. Entretien avec Béatrice Commengé

Béatrice Commengé est romancière, essayiste et traductrice, d'Anaïs Nin notamment. Flâneuse sur les pas d’auteurs qui la passionnent, elle a notamment publié En face du jardin sur le séjour de Rilke à Paris, Voyager vers des noms magnifiques où l’on retrouve entre autres Joyce à Trieste, Une vie de paysages consacré à Lawrence Durrell. Dans Alger, rue des Bananiers c'est à une description de la ville d'Alger dans les années 1950 qu'elle se livre, en particulier en faisant revivre l'ambiance de la rue dans laquelle elle a grandi.

J'ai quitté l'Algérie en 1961, un an avant l'Indépendance. J'avais douze ans. On peut dire que j'ai grandi pendant la guerre, pendant les "événements" comme on disait à l'époque. Mais en dépit de ces circonstances, j'ai eu une enfance très heureuse dans cette Villa Marie-Rose, ce petit paradis où j'ai grandi entourée de familles kabyles et mozabites. Moi qui aime aller sur les traces d'un passé enfoui, je n'ai pas voulu retourner en Algérie pour ce livre. Je voulais seulement savoir si je serai capable de restituer cette joie d'enfant. Mon effort était de rentrer dans la sensation. Qu’est-ce qui provoque la joie ? La couleur d'un ciel ? Des odeurs ? Des trajets ? Dans mon cas, celui d’un chemin romain dont j’ai découvert que Camus l’avait gravi aussi.                

Béatrice Commengé

  • Béatrice Commengé, Alger, rue des Bananiers Verdier
À réécouter : Rilke à Paris
La Compagnie des auteurs
58 min

Le caillou dans les poches

Dans Le Premier homme, roman autobiographique inachevé dont la fille de l'écrivain a permis la publication posthume en 1996, Albert Camus décrit le trajet qu'effectue chaque matin en tramway son personnage, Jacques Cormery, depuis le quartier de Belcourt jusqu’au centre d'Alger, pour se rendre au lycée.

  • Albert Camus, Le Premier Homme lu par Sylvain Pouderoux, coll. Ecoutez lire, Gallimard
Fictions / Théâtre et Cie

Le message de Dima Abdallah

Autrefois dans les paquebots et les cargos, de magnifiques transmetteurs d’ordre en cuivre faisaient résonner les instructions de la passerelle jusqu’aux entrailles du navire..

Mon cher Mauvaises herbes, je suis émue, comment pourrait-il en être autrement ? D’entendre parler de toutes tes pérégrinations, de tes rencontres avec tes lecteurs, tu n’es plus seulement mien. Déjà au moment où je t’écrivais, tu ne me demandais pas toujours mon avis sur ce que tu avais à dire, j’ai marché sur ce fil si sensible de l’écriture, entre la maîtrise, entre ce qu’on contrôle et les herbes folles qui poussent sur les feuilles blanches sans y être invitées. J’ai fini ce travail de funambule en sachant qu’il fallait te laisser partir immédiatement après avoir écrit le dernier mot. Te lâcher la main aussitôt. Laisse-moi recommencer encore aujourd’hui, pour de vrai cette fois...

  • Dima Abdallah, Mauvaises Herbes, Sabine Wespieser

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