Une salle des machines traversée par les échos de bien des naufrages, maritimes, historiques, littéraires, burlesques, héroïques ou narcissiques... de l'île de Calypso aux rives du Tage, et où l'on croise des marins sauvés, d'autres engloutis, et des architectes que l'on suit jusque dans leur chute.
- Matthieu Garrigou-Lagrange Producteur de l'émission "Géographie à la carte" sur France Culture
- Pierre Senges Écrivain, scénariste
- Alice Zeniter Ecrivaine, lauréate du Prix du Livre Inter 2013
Première partie. Entretien avec Pierre Senges
Mathias Enard s'entretient avec Pierre Senges, auteur notamment de Ruines de Rome (2002), un traité sur l’art du jardin, de La réfutation majeure (2004), de Achab, Séquelle (2015) et de Projectiles au sens propre, un essai consacré à la tarte à crème. Au cours de cet entretien, l'écrivain revient sur le projet de L’art de faire naufrage, pensé comme une sorte d'hommage et de prolongement à l'œuvre d'Antonio de Guevara, auteur espagnol du XVe siècle, dont il a traduit L’art de naviguer (Vagabonde).
Antonio de Guevara est un personnage qui me tient compagnie depuis que je l’ai découvert grâce à l’historien Carlo Ginzburg. Il fut à la fois évêque franciscain de Cadix et courtisan de la cour de Charles Quint, historiographe et prédicateur royal. Son art de mêler le vrai au faux dans ses écrits lui a attiré des critiques comme celle d’être un falsificateur, mais pour moi c’est au contraire un trait assez réjouissant de son œuvre. Je pensais qu’une façon de lui rendre hommage était de travailler à partir de ce motif du naufrage, qui rejoint une vieille obsession chez moi ! J'y vois un thème romanesque intéressant, à la fois par le côté burlesque, grotesque, trivial, de la peur de l’engloutissement, voire de la chute, du ratage, mais également par la dimension emphatique, pathétique, de cette vaste métaphore de la vie et du destin - que l'on peut prendre au sérieux... ou pas ! - une métaphore ambivalente puisque le naufrage peut être synonyme de catastrophe ou avoir des vertus. Grâce à lui, on peut découvrir des lieux incroyablement favorables… Au hasard de mes lectures, d’Homère à Shakespeare, en passant par Tacite ou Herman Melville, j’ai récolté des fragments éparpillés dans la littérature, en cherchant aussi à inviter des auteurs moins connus dans cette liste des naufrages ratés ou réussis.
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- Pierre Senges, L’Art de faire naufrage, Vagabonde
Seconde partie
Mathias Enard s'entretient avec Matthieu Garrigou-Lagrange, producteur de La Compagnie des œuvres sur France Culture, et écrivain. Son second roman, Le Brutaliste, basé sur des faits réels et dont le narrateur s’appelle Matthieu, propose un passionnant voyage dans l’architecture du XXe siècle et dans la perversité des hommes. Au cours de cet entretien, Matthieu Garrigou-Lagrange revient sur la façon dont il a croisé le destin d'un architecte portugais à la virilité excessive, à la fois Minotaure effrayant et Narcisse kitsch, rendu fou par son hubris, qui a inspiré le personnage central de cette fiction.
L’enquête a commencé par une question que je me posais : est-ce que la forme d’un bâtiment – ou d’un objet d’ailleurs - dépend de la personnalité de son concepteur ? A Lisbonne, j'ai découvert trois immeubles de bureaux étranges, les tours des Amoreiras. En me documentant, j’ai appris que Tomàs Taveira, l’architecte qui les avait conçues, avait une attitude brutale, pulsionnelle, en particulier dans ses relations avec les femmes. Mais interroger le lien entre brutalité psychologique et geste architectural post-moderniste me permettait aussi de raconter Lisbonne depuis la Révolution des Œillets de 1974. Comment une partie de la société portugaise, corsetée par le poids de la religion, a vécu une sorte de movida, une explosion libidinale dont cet architecte a été l’un des protagonistes, et qui s’est achevée avec sa chute à la suite d'un scandale en 1989. Je le vois comme un symbole de l'explosion adolescente qui a suivi la chute de la figure patriarcale de Salazar.
- Matthieu Garrigou-Lagrange, Le Brutaliste, L'Olivier
Le message d'Alice Zeniter
On se souvient qu’autrefois, dans les paquebots et les cargos, de magnifiques transmetteurs d’ordres en cuivre faisaient résonner les instructions de la passerelle jusqu’aux entrailles du navire.
Je ne sais pas comment m’adresser à vous, silhouettes brumeuses, grumeleuses parfois, qui, depuis que j’ai 5 ou 6 ans, vous tenez au bord de mon lit quand je m’endors. Est-ce que vous vous penchez comme des bonnes fées ou est-ce que vous me raccompagnez fermement à la porte, agacées que chaque jour je vous tire du pays des fictions pour vous ramener chez moi ? Parce que je balade des personnages dans les plis de mes pensées comme on trimballe du sable dans ses ourlets au retour du la plage. Parfois j’ai eu peur que vous soyez un signe de folie, parfois que vous ne soyez rien, et que je me flatte juste de l’idée que je puisse être folle - ça ferait plus artiste. Je suppose que je voulais juste vous dire merci. Parce qu’à chaque fois que l’on m’a intimé "Mais sors le nez de ton livre !", vous êtes restées.
Alice Zeniter : "Je ne sais comment m’adresser à vous, silhouettes brumeuses..."
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- Alice Zeniter, Je suis une fille sans histoire, L’Arche
Le caillou dans les poches
La nuit du 27e jour du mois de Ramadan, appelée Nuit du destin, est l'une des plus belles nuits de l’année. L'occasion d'entendre ce qu'en racontait l'anthropologue Malek Chebel, disparu en 2016, dans son Dictionnaire amoureux de l’Islam que les éditions Plon rééditent dans leur collection de poche.
- Malek Chebel Dictionnaire amoureux de l’Islam, Plon
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