Samuel Brussell, Mathieu Lindon, Nathalie Kuperman. Souvenirs d'Italie

Mettez un livre dans votre moteur...
Mettez un livre dans votre moteur... ©Getty - John Heseltine/Corbis
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Une salle des machines qui, faisant route vers l'Italie, croise, de Rome à Trieste, les mânes de Joyce, de Svevo et d'Ernesto Saba, mais aussi celles d'Anita Pittoni et d'Hervé Guibert, s'attardant pour un goûter nostalgique dans les jardins du Pincio ou une prière à la mémoire des chers disparus.

Avec

Première partie. Entretien avec Samuel Brussell

Après avoir évoqué en 2013 dans Métronome vénitien (Grasset),le balancement de Venise entre l'Est et l'Ouest, Samuel Brussell évoque dans cet Alphabet triestin son rapport à la ville d’Italo Svevo et d’Umberto Saba qu'il découvre lors de son premier séjour en 1980, alors qu'il est employé par la Compagnie internationale des Wagons-lits. Dans cet entretien avec Mathias Enard, l'écrivain revient sur la genèse de cet essai :

Tout est parti de ma découverte, dans une librairie que je hantais, de la correspondance entre l’écrivaine Anita Pittoni et le critique littéraire Roberto Bazlen. Anita Pittoni est une personnalité hors normes, une artisane talentueuse, une femme passionnée, qui a correspondu avec tout ce qui comptait dans le monde de la littérature et de l’art à son époque. Le livre est à la fois une enquête dont elle est le personnage principal et une quête de sens. C’est d'ailleurs sur le conseil de Simone Volpatto, ce libraire triestin, que j’ai choisi son titre. Pour le lecteur du Tanakh que je suis, l’alphabet hébraïque a une dimension philologique, qui évoque bien plus que la simple grammaire, la lexicologie : il ouvre sur la philosophie, sur le divin, sur la vie quotidienne. D'où le choix de ce titre.

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Un faux alphabet en réalité puisque Samuel Brussel n'y a pas soumis ses souvenirs de Trieste à un quelconque ordre alphabétique, mais auquel il trouve néanmoins un commencement, un aleph :

L’aleph de Trieste serait pour moi sa gare, qui est un terminus. A cause de la merveilleuse chapelle nichée en son sein. Il y a d’autres gares en Italie qui en possèdent une mais cette chapelle San Rafaele m'a frappé depuis le premier matin où je l'ai vue en descendant de mon wagon-lit. Une des choses qui me fascine à Trieste, alors que c’est une ville catholique, du point de vue politique, mais d'un point de vue métaphysique elle ne l'est pas : on y respire les parfums de la synagogue et de l’église orthodoxe. Etre triestin cela signifie être beaucoup de choses différentes. C’est une ville frontière, une plateforme qui est dépositaire de beaucoup de cultures tout en étant profondément triestine. En cela, elle incarne pour moi le véritable cosmopolitisme, celui de l'homme ancré dans un hameau et en même temps ouvert sur le monde. Au contraire de cette ouverture obligatoire permanente sur le monde que l'on nous vante parfois. Avec laquelle on n'est plus de nulle part.

  • Samuel Brussell, Alphabet triestin, La Baconnière
Le Temps des écrivains
58 min

Seconde partie. Entretien avec Mathieu Lindon

Dans Ce qu’aimer veut dire (Prix Médicis 2010), récit de son amitié avec le philosophe Michel Foucault, Mathieu Lindon évoquait déjà la figure de l'écrivain Hervé Guibert, mort du Sida en décembre 1991. Hervelino retrace cette autre amitié tout aussi marquante, à travers les deux périodes qui réunirent les deux hommes à la Villa Médicis à Rome, entre 1987 et 1990. Au cours de cet entretien, Mathieu Lindon évoque ce qui l'a poussé à rassembler ses souvenirs romains, près de trente ans plus tard : 

Je m’étonne souvent des gens qui arrivent à écrire très vite sur un deuil. Je suis presque envieux parce que si ça peut faire du bien, j’adorerais le faire mais j'en suis incapable. Sur le moment, je sais que je ne parviendrai pas à écrire un livre à la hauteur de mon chagrin. Mais au fil des années, je me rends compte que je n’écris plus sur le chagrin d'avoir perdu des êtres chers mais sur la joie de les avoir connus. Il faut du temps pour que la joie puisse resplendir. Après un certain temps, ce n’est pas que le chagrin s’estompe, il est toujours là, mais la joie est plus vivace.

Une amitié d'une force rare, mais que l'écrivain refuse de qualifier d'amitié littéraire :

Mathieu Lindon : Une amitié, c’est plus fort que la littérature. Raconter toute notre relation me paraissait au-delà de mes forces. Un jour, j’ai raconté cette anecdote à mon ami, l’écrivain Rachid O. : pendant notre séjour à Rome, Hervé venait d’apprendre qu’il était atteint du Sida, et il avait énormément maigri. Alors pour l’aider à reprendre du poids, nous prenions tous nos repas ensemble, y compris les goûters. A la fin de mon séjour, la seule chose que m’a dite le directeur de la Villa Médicis, c’est que j’avais grossi. Quand Rachid O. m’a répondu « Mais grossir par amitié, c’est magnifique ! » j’ai trouvé que c’était bien dans le ton d’Hervé, que lui aussi aurait pu avoir une réaction aussi singulière. C’est comme cela que m’est venue l’idée de me concentrer sur les années romaines qui ont marqué l’apogée de notre relation."

  • Mathieu Lindon Hervelino, P.O.L.
À réécouter : L'Ange Guibert
La Compagnie des auteurs
58 min

Le message de Nathalie Kuperman

On se souvient qu’autrefois, dans les paquebots et les cargos, de magnifiques transmetteurs d’ordres en cuivre faisaient résonner les instructions de la passerelle jusqu’aux entrailles du navire.

Je ne sais pas improviser. Pourtant, il y a environ deux ans, j’ai eu en tête un projet fou : me lancer dans le stand up. J’avais envie d’être sur scène et de faire rire les gens. Je me suis rendu compte assez vite que la volonté d’être drôle ne suffit pas pour l’être mais je n’abandonnais pas, j’ouvrais des fichiers que je remplissais de récits domestiques dont le pathétisme prêtait à sourire. Puis je les rangeais ensuite dans le dossier "On rigole bien." Un soir, j’ai démarré un nouveau sketch dont la première phrase était "On était des poissons". J’ai tout de suite compris qu’on n’allait pas se marrer avec un tel incipit. Il était simple d’effacer ce début non prometteur. Mais étonnamment, la phrase a résisté. Elle est devenue la première phrase de mon roman, puis son titre. La salle de ma machine interne a fonctionné, j’ai entendu son message : "On ne se refait pas".

  • Nathalie Kuperman, On était des poissons, Flammarion
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Le caillou dans les poches

Faut-il opposer l'Italie à la Grèce ? Virgile à Homère ? L’Énéide à l'Odyssée ? Quand Ulysse, vainqueur, rentre chez lui vivre entre ses parents le reste de son âge, Énée, lui, perd tout et devra, après bien des aventures, livrer une nouvelle guerre pour pouvoir s’établir dans le Latium. Son père, Anchise, lui apparait en songe et l’enjoint de se rendre auprès de la Sybille en Sicile. S’ensuit un voyage aux enfers, pour retrouver cet illustre père, descendant du fondateur de Troie…

  • Virgile, L'Enéide, lu par Daniel Mesguich. Frémeaux & associés / Les Belles Lettres

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